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lettres olympiques.

sent l’air de sons stridents bizarrement scandés ; cette cacophonie ne rappelle nullement le tombeau ; elle évoque plutôt l’image de quelque barbare triomphe. De petites boutiques en plein vent sont établies dans les carrefours ; les portraits de la famille royale encadrés de verdure leur servent d’enseigne ; on y vend des cierges dont chacun fait provision. Par centaines circulent des agneaux noirs et blancs conduits par des bergers palikares, le teint bronzé, l’œil fier, artistement vêtus de tuniques déchirées. Ceux qui marchandent ces agneaux les palpent, les secouent durement et puis les emportent sur leurs épaules pour le repas pascal.

Le soir, à neuf heures, ont lieu les processions, les « Épitaphes », comme on les nomme. Chaque paroisse a la sienne. Elles se répandent par les rues, se dirigeant vers la place de la Constitution qu’elles traversent tour à tour. En tête viennent la croix, les porteurs de bannières et des troupes d’enfants chantant à plein gosier des Kyrie eleison. Une mélopée singulière qui semble monter des profondeurs du passé alterne avec ces litanies populaires ; il s’en dégage comme une lointaine impression de mort et d’exil ; les Israélites captifs à Babylone devaient chanter ainsi ; mais cette impression est fugitive et le bruit reprend, le bruit d’une grande masse d’êtres humains qui ont un motif de se réjouir et font de vains efforts pour comprimer leur allégresse. Des pétards éclatent ; çà et là, des flammes de Bengale s’allument, des fusées s’élancent, tandis que défilent avec leurs vêtements brochés d’or et leurs sombres