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souvenirs d’amérique et de grèce.

ii

On ne vit jamais, pourtant, contraste plus absolu et plus complet entre deux cités qu’entre Chicago et son Exposition. Cela frappait dès l’entrée. Ici des rues larges et pareilles, bordées de maisons cubiques, puissantes, privées de formes et de proportions ; un réseau de fils noirs rayant le ciel comme du papier à musique ; le fer tordu en courbes audacieuses pour former des voûtes grandioses, mais sans grâce ; un mouvement prodigieux, des perspectives enfumées, une impression de fatigue, de hâte et de labeur forcé ; et, à côté, sans transition aucune, une incomparable succession de palais tranquilles, la sereine beauté des lignes, l’enfilade grave des portiques et des péristyles, l’éblouissante blancheur des murailles, l’ampleur majestueuse des escaliers baignant dans l’eau, tout un décor antique avec un visible effort pour n’y rien laisser pénétrer de l’agitation moderne. Le petit chemin de fer qui circulait à travers l’Exposition se dissimulait de son mieux comme une chose indigne, et les bateaux qui, sur les lagunes et les canaux, se mêlaient aux gondoles lentes, étaient mus par l’électricité, afin que nulle vapeur ne vînt jeter une note discordante dans le paysage.

Au centre était la cour d’honneur, forum gigantesque bordé de temples et de statues qui se reflétaient dans un bassin grandiose. Là, de quelque côté qu’on se tournât, on ne voyait absolument rien qui fût « américain », au sens habituel que nous donnons