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souvenirs d’amérique et de grèce.

de fer forgé, la salle de billard, énorme et somptueuse, les chambres à coucher, le grand gymnase avec ses pistes élastiques pour les coureurs, et ses multiples appareils pour la joie des muscles, puis, tout en haut, les salles de paume ; et, entre temps, nous causions de la belle audace yankee, de ces quelques capitalistes qui, de leur propre initiative et malgré des obstacles et des labeurs sans fin, avaient créé cette Exposition où s’écoulaient la plupart de nos journées : soudain le petit « boy », qui faisait notre service, nous avait croisés dans un couloir et s’était exclamé : « Venez, venez vite sur le toit voir les foules qui vont à la World’s Fair » ; et ces mots : les foules, World’s Fair, prenaient sur ses lèvres des allures géantes : une ivresse orgueilleuse animait ses yeux pâles. Comme il était fier, le petit Chicagoïen !

C’est qu’un grand anniversaire se célébrait ce 9 octobre 1893, et Chicago, dans son triomphe, retournait, par la pensée, aux heures sombres de 1871, à ce même 9 octobre dont l’aube se leva sur une catastrophe sans nom : 17 450 maisons incendiées, 672 hectares couverts de ruines, 950 millions de richesses anéanties, 275 victimes, tel fut l’horrible bilan ! Une mer de décombres hérissée de pans de murs branlants, voilà ce qu’à cette même place on contemplait, il y a vingt-deux ans ; mais la dernière flamme n’était pas morte que déjà des ouvriers clouaient des planches, déblayaient des terrains, posaient des trottoirs volants : la sève avait seulement reculé devant le feu : à fleur de sol, elle était prête à pousser de nouveaux rameaux plus vigoureux ; et, pendant que l’Europe charitable expo-