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conférence de m. de coubertin

sent historiquement et socialement supérieur et plus avancé que les peuples qui l’entourent et qui vivent avec lui sur le sol de la Hongrie, mais il est trop faible pour pouvoir les dominer, pour pouvoir imposer d’une façon indiscutable sa civilisation, sa langue, sa forme de gouvernement, à tous les peuples que la nature et la géographie obligent à vivre autour de lui et par lui.

Voilà donc un ordre de questions qui est grave. Il y en a encore un, c’est celui que soulève l’existence ininterrompue de la Pologne. La Pologne, on l’avait, comme vous le savez fort bien, dépecée en trois tronçons. Or, il s’est produit quelque chose de très singulier. Les Polonais, qui auparavant s’étaient épuisés en de grands efforts militaires et que d’autre part le fonctionnarisme avait perdus, se sont trouvés du jour au lendemain soustraits à l’obligation d’entretenir une armée nationale et de pourvoir au fonctionnarisme. Ils ont pu tendre toutes leurs forces, et elles étaient encore considérables, pour les concentrer sur un seul but : faire prospérer la nationalité, l’idée nationale polonaise.

Ils y sont parvenus très inégalement. Tandis que la Pologne allemande, de beaucoup la plus malheureuse, a réussi simplement à végéter, à maintenir sa langue et l’apparence de sa nationalité, la Pologne russe s’est considérablement enrichie et la Pologne autrichienne a obtenu dans l’empire une puissance tout à fait extraordinaire ; son influence est aujourd’hui dominante à Vienne. Or, il n’y a pas un Polonais, parmi ceux qui ont quelque action sur leurs concitoyens, tant dans le tronçon russe que dans le tronçon autrichien, qui n’ait gardé, comme but suprême de es efforts, cette idée qu’en fortifiant le tronçon auquel il appartient, autant qu’il est possible, il prépare la reconstitution future et nécessaire de la Pologne, telle qu’elle était avant le dernier partage.

D’autre part, il est très certain que la Pologne russe est dans son ensemble irrémédiablement unie à la Russie, mais du jour où elle se trouverait reconstituée par un événement comme celui auquel je faisais allusion, la dislocation de l’empire des Habsbourgs, le gouvernement russe actuel deviendrait impossible. Les Slavophiles semblent convaincus que le seul fait du rapprochement du pouvoir absolu que représente le czar avec le pouvoir démocratique que représente la commune russe fournit les éléments d’un système de gouvernement nouveau et génial. Certes la commune russe est l’une des plus puissantes, des plus hardies et des plus résistantes qu’il y ait dans le monde. M. Leroy-Beaulieu dit qu’en dehors des