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même avait passé vingt-sept ans de sa vie en Normandie et c’étaient les mœurs, la langue, la mentalité françaises qui dominaient non seulement à sa cour, mais chez les principaux seigneurs. Lorsque Guillaume était venu en 1051 visiter son cousin, il aurait pu se croire chez lui, tant l’atmosphère qu’il respirait ressemblait à celle de son pays natal. Ayant pourtant arrêté son dessein après beaucoup de réflexion, le duc s’occupa de se procurer les appuis ou, au moins, les neutralités désirables. Avec une habileté consommée, il sut mettre le Saint Siège dans son jeu : une confidence opportune faite à Philippe ier, roi de France, amortit d’avance sa jalousie de suzerain. Ensuite, il s’adressa à ses sujets ; d’abord aux bourgeois et aux commerçants de Rouen et seulement en second lieu aux seigneurs. Aux premiers qui possédaient déjà à Londres un port franc, il fit entrevoir une prompte augmentation de leur chiffre d’affaires. Les seconds, assemblés à Lillebonne commencèrent par se montrer rétifs. Alors, il les prit un à un et les persuada. Parmi le peuple, dont sa mère était sortie et qui l’aimait, il eut pu recruter toutes ses troupes mais il ne voulait point affaiblir son duché. Il fit donc appel à la gent belliqueuse qui foisonnait en ce temps là en tous pays. Les chercheurs d’aventures affluèrent de toutes les parties de la France et même des Alpes et des bords du Rhin. Ayant ainsi constitué un corps expéditionnaire, il l’émonda, l’expurgea, le tritura, durcissant les muscles et les âmes par un entraînement à la moderne et arrivant à créer entre ces hommes dissemblables une cohésion extrême. En même temps, la flotte se construisait. Tout le monde s’y était mis. Ceux qui ne s’enrôlaient pas ou n’équipaient pas directement des soldats donnaient de l’argent. Guillaume leur faisait délivrer par ses comptables des reçus en règle pour proportionner ensuite « les récompenses aux mises de fonds ». L’aventure devenait ainsi une entreprise en commandite. Quand il eut vérifié lui-même chaque détail, il s’embarqua enfin. On n’est pas bien d’accord sur le nombre de ses vaisseaux ; environ 60.000 hommes, dit-on, furent transportés. Comment à la bataille d’Hastings (1066), la victoire, après quelque hésitation, se donna à lui, comment, ayant occupé Douvres et Cantorbery, il vint camper devant Londres et, au lieu d’y entrer en vainqueur, préféra l’opinion à voir en lui le souverain nécessaire, ce sont choses connues et qui, d’ailleurs, répondent à ce que l’on pouvait attendre d’un homme de guerre éprouvé doublé d’un si fin diplomate. Mais à partir de ce moment-là précisément, ses grandes qualités déclinèrent et s’obscurcirent ; il ne fut plus