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complètement. Le vaste bassin du Gange, soumis aux excès du climat tropical, aux exubérances d’une flore et d’une faune sans freins était propre à exalter et à déséquilibrer en même temps le tempérament de l’homme ; et c’est ce qui est constamment advenu. Le Dekkan a été, dès lors, le refuge et, si l’on ose ainsi dire, le conservatoire des énergies hindoues.


Çakya-Mouni.

..… La prédication de Çakya-Mouni pourtant n’eût point ce caractère, excessif. L’homme qui a déconseillé la mortification volontaire comme « indigne et vaine » et qui a dit : « le meilleur refuge contre le mal, c’est la saine réalité » était un esprit singulièrement pondéré. Mais en proclamant que l’existence individuelle est la cause de la douleur et que la suppression de la douleur ne peut provenir que de l’anéantissement du désir d’exister, il se plaçait aux antipodes de la conception aryenne à laquelle les Perses et les Grecs, demeurés fidèles, apportaient en ce même temps une consolidation définitive. Désormais aux religions d’action et d’inégalité qui seraient celles de l’Occident, l’Orient opposerait la formule de son Nirvana égalitaire comportant la divinisation du néant et l’anathème jeté au progrès. La supériorité du Bouddhisme à ses débuts, c’est qu’il se réclamait de la solidarité humaine, de la fraternité — vertu qui devait demeurer si étrangère aux peuples occidentaux que l’Évangile même ne réussirait point à l’implanter parmi eux. Mais la pratique d’une fraternité efficace exige l’effort individuel et il n’y a point d’effort individuel sérieux sans attachement à la vie. De là, le caractère occasionnel et infécond de la solidarité bouddhique. Le jour où l’Occident converti au solidarisme entreprendrait de l’organiser, l’Asie aurait perdu le seul élément de supériorité morale dont elle puisse se prévaloir par rapport au reste du monde civilisé.