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CHEZ LES TRIBUS INDIENNES

duquel je distinguai la voix du pilote qui encourageait ses hommes à ramer. Mais le danger devenait de plus en plus imminent : bientôt tout espoir s’évanouit. La barque tourna sur elle-même comme une girouette au fort de la tempête ; les rames tombèrent inutiles des mains des matelots ; la proue se dressa ; la poupe inclinée plongea dans l’abîme. Une sueur glaciale me couvrait le visage ; ma vue s’obscurcit ; je n’étais plus à moi, lorsqu’un dernier cri : Nous sommes perdus /m’annonça que c’en était fait de mes compagnons, et me rendit l’usage de mes sens. Hélas ! incapable de leur porter secours, je restais spectateur immobile, pétrifié, de cette scène tragique.

L’endroit où la berge avait fait naufrage ne présentait plus aucune trace de l’accident ; et sous ces flots, redevenus paisibles et unis, des hommes se débattaient dans une horrible agonie ! Bientôt les rames, les perches, la berge renversée, tous les objets qu’elle renfermait furent rejetés du gouffre dans toutes les directions, tandis que çà et là j’apercevais mes pauvres matelots luttant en vain contre les immenses spirales qui les attiraient à leur centre pour les engloutir de nouveau. Cinq avaient disparu pour toujours : deux fois mon interprète avait touché le fond d’un abîme creusé dans le roc ; mais après une courte prière, il se trouva poussé sur la côte, sans savoir comment la chose s’était faite. Un Iroquois se sauva sur mon lit, un autre eut le bonheur de saisir la poignée