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VOYAGES

réunis ; les mâles d’un côté, les femelles de l’autre, excepté pendant l’été, où le mélange a lieu. Dans le courant de juin nous en vîmes aux environs de la Platte une si prodigieuse quantité, qu’elle devait surpasser, ce me semble (pour me servir encore de l’expression de ma lettre de l’année passée) le nombre des animaux réunis de toutes les foires de l’Europe. C’est en pareille circonstance qu’a lieu la grande chasse. Au signal donné, les chasseurs, tous montés sur des coursiers rapides, se précipitent vers le troupeau qui se disperse à l’instant ; chacun choisit des yeux sa victime, c’est à qui l’abattra le premier, car, aux yeux du chasseur, avoir abattu le premier buffle, ou plutôt la première vache, plus estimée que le bœuf, c’est un coup de maître. Mais pour l’abattre plus sûrement, il doit caracoler autour de l’animal jusqu’à ce qu’il soit à portée de le blesser à mort ; malheur à lui si la blessure qu’il lui fait n’est pas mortelle ! la crainte alors se changeant en fureur, le buffle se retourne brusquement et poursuit à outrance le chasseur. Un jour nous fûmes témoins d’un de ces revers de fortune qui faillit coûter la vie à un jeune Américain. Il avait poussé l’imprudence jusqu’à se dépouiller de ses habits et passer une rivière à la nage et sans armes, dans la pensée que son couteau lui suffirait pour achever une vache blessée. Mais à peine eut-il atteint le rivage, que la vache, en l’apercevant, se retourna vers lui avec furie. Malgré sa prompte fuite, il se vit pour-