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AUX MONTAGNES ROCHEUSES

l’Entrée-du-diable ; ils eussent mieux fait, selon moi, de l’appeler le Chemin-du-ciel ; car si elle ressemble à l’enfer à cause du désordre et de l’horreur qui y règnent, ce n’est toutefois qu’un passage, et d’ailleurs elle représente bien mieux le chemin du ciel par le terme délicieux où elle aboutit. Qu’on s’imagine, en effet, deux pans de rochers s’élevant à pic à une hauteur étonnante ; au pied de ces murailles informes, un lit tortueux, encombré de troncs, de débris et de blocs granitiques de toute dimension, et au milieu de ce chaos d’obstacles, les ondes mugissantes s’ouvrant une issue tantôt en se précipitant avec furie, tantôt en s’épanchant avec majesté, selon que dans leur cours elles trouvent un passage ou plus resserré ou plus spacieux. Au-dessus de ces scènes tumultueuses et bruyantes, des masses d’ombres, ici éclairées par un jet de lumière, là rembrunies par le feuillage de quelques cèdres ou pins ; enfin, dans l’enfoncement de cette suite de hautes galeries, une perspective de lointain, si douce à l’œil, qu’il serait impossible d’y reposer la vue sans avoir l’idée du bonheur. Voilà ce que nous admirions dans la matinée du 6 juillet, à neuf ou dix milles du roc Indépendance. Je doute que la solitude de la grande Chartreuse, dont on dit tant de merveilles, puisse, du moins au premier abord, offrir plus d’attraits à celui que la grâce appelle à la vie contemplative. Pour moi qui n’y suis point appelé exclusivement, après une demi-heure de ravisse-