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VOYAGES

Une solitude pareille avec ses horreurs et ses dangers a cependant un avantage bien réel : c’est que l’on y voit constamment la mort en face, et qu’elle se présente sans cesse à l’imagination sous les formes les plus hideuses. On sent d’une manière toute particulière qu’on est tout entier sous la main de Dieu. Il est facile alors de lui offrir le sacrifice d’une vie qui est bien moins à vous qu’au premier sauvage qui voudra la prendre, et de former les résolutions les plus généreuses dont un chrétien soit capable. C’est bien là, en effet, la meilleure retraite que j’aie faite de ma vie. Ma seule consolation était l’objet pour lequel j’avais entrepris le voyage ; mon guide, mon soutien, mon refuge, c’était la Providence paternelle de mon Dieu.

Le deuxième jour du voyage, j’aperçus de grand matin en m’éveillant, à la distance d’un quart de mille, la fumée d’un grand feu ; une pointe de rocher nous séparait seulement d’un parti de guerre sauvage. Sans perdre de temps, nous sellâmes nos chevaux et partîmes au grand galop ; enfin nous gagnâmes la côte, et traversant les ravins et le lit sec d’un torrent, nous atteignîmes le sommet sans être aperçus. Nous fîmes ce jour de quarante à cinquante milles sans nous arrêter et nous ne campâmes que deux heures après le coucher du soleil, de crainte que les sauvages, rencontrant nos traces, ne nous poursuivissent. La même crainte nous empêcha d’allumer du feu, il fallut