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enfouie aujourd’hui dans l’abîme ; et alors cette mauvaise petite feuille, jetée aux ronces du chemin, a vécu en italien, en anglais, en quelque langue étrangère qui lui donnait une grâce inattendue, une force inespérée. Est-ce mourir, cela ?
Est-ce donc mourir tout à fait si plus d’un cœur, à vous lire, a battu plus vivement ; si plus d’une idée, endormie au fond du cerveau réjoui, s’est éveillée en chantant ; si ce malheureux s’est trouvé consolé ; si ce misérable s’est senti châtié ; si la comédie, errante dans les nues du journal de chaque jour, s’est abattue en son vrai champ de bataille ? Est-ce mourir si, même après dix ans, un seul homme se rappelle ce grand cri qui l’a frappé ?
Non, rien ne meurt complètement de ce qui a vécu, ne fût-ce qu’un jour, une heure, un instant ; une fois que la trace est laissée au fond de l’âme humaine, essayez de l’effacer, soudain la voilà ravivée, et elle reparaît plus puissante, semblable à cette statue oubliée au fond de l’Océan : le flot qui l’emporta la rapporte, et chacun la reconnaît, en dépit des tempêtes dont elle fut si longtemps le jouet.

Et, maintenant, voulez-vous savoir comment Jules Janin comprenait les devoirs et les récompenses du critique :

Un homme d’esprit est celui qui en a quelquefois, c’est un mot de Vauvenargues ; un critique homme d’esprit est celui qui en a une fois par hasard, pourvu