Page:Picard - La Veillée de l’huissier, 1887-1888.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pendant que je le bouclais. Quelle belle dissection j’en ferais ! Et lente… oui, très lente… et sans anestésique pour ensensibiliser, mille morts !

Avec son petit couteau, il décrivait les découpures savantes, dans l’air, comme s’il taillait en plein dans le cuir de l’inoffensif Rentmeesters, alors en train de somnoler en son paisible logis de la Courte rue des Longs-Chariots.

Il y eut un silence, durant lequel les lamentations de la levrette retentirent plus déchirantes et plus lugubres.

Michiels, mordu par le souci de sa gastrite, faisait, pour en parler, un effort égal à celui qui l’avait glorifié en Cour d’assises lors de l’épisode du coutelas. Il dit tout à coup, rapidement :

— Monsieur le docteur, je suis malade. Voulez-vous voir et me donner un remède ?

— Malade, vous, reprit Tolmache, en le toisant de pied en cap. Au fait, qui n’est pas malade, très malade ? Et soulevant la lampe, il le scruta de son perçant regard. Puis, sans hésiter, dardant sur lui son index, comme une flèche dans la terre molle d’un tir à l’arc au berceau, d’un choc sec et dur il lui pointa l’estomac en disant : Là gît le mal.

— Touché, dit instinctivement Bastien, qui s’escrimait quelquefois au serment de Saint-Georges, dans une des maisons corporatives de la Grand’place.

— Vous avez là un viscère qui vous paraîtrait ignoble si je vous fendais l’abdomen pour l’en extraire et vous le montrer.

L’huissier sursauta. Comme en un éclair, il se voyait appliqué sur le chevalet, son énorme ventre crevé ainsi qu’un potiron dont on a découpé une tranche.

— Tranquillisez-vous, ce n’est pas nécessaire. Mais, je vous le répète, votre estomac est ignoble. Je le vois comme si j’étais dedans. Il est incrusté à l’égal d’une vieille chaudière à vapeur. Il est flasque, et puant comme les cuirs verts salés qu’on débarque d’un voilier arrivant de Buenos-Ayres. Si un chien pelé crevant de faim le trouvait dans un tas d’immondices, il n’en voudrait pas.

— Och ! God ! gémit Bastien. Mais peut-on guérir ?

— Oui.

— Comment, pour l’amour du ciel ? Tout ce que j’ai fait jusque maintenant n’a servi à rien.

— Des drogues, sans doute. Ça ne m’étonne pas. Il n’y a pas de drogues qui puissent nettoyer cette charogne, et surtout lui rendre l’activité, ce qui est l’essentiel.

— Connaissez-vous autre chose !

— Mais certainement que je connais autre chose. John Tolmache Itchkoc guérit tous ses malades…, à moins qu’il ne les tue…, en faisant une expérience.

Michiels recula.

— Je ne dis pas cela pour vous. Puisque j’ai là un chien je