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même des richesses ? — Sans doute, et vous l’avez souvent montré. — Eh quoi ! nous ne désirons ni drachme d’or ni drachme d’argent, nous résistons à la séduction de ce qui fait l’objet des convoitises, non-seulement des simples particuliers, mais des rois ; et si l’on nous donne une pièce fausse, une pièce de cuivre au lieu d’une pièce d’or ou d’argent, la recevrons-nous parce que ce n’est pas ce que recherchent la plupart des hommes ? La monnaie des Indiens est en orichalque et en cuivre noir, et c’est la monnaie avec laquelle font leurs emplettes tous ceux qui viennent dans l’Inde. Eh bien ! Damis, si ces bons nomades m’avaient offert de leur monnaie, et que vous me vissiez la refuser, est-ce que vous me presseriez de l’accepter, en me faisant observer que j’ai coutume de refuser la monnaie que font frapper les Romains et le roi des Mèdes, mais que c’est ici un métal différent, à l’usage des Indiens ? Si je me laissais gagner par de telles raisons, que penseriez-vous de moi ? Ne me prendriez-vous pas pour un lâche, pour un déserteur de la philosophie plus infâme que le mauvais soldat qui jette son bouclier sur le champ de bataille ? Qu’un bouclier soit ainsi perdu, un autre pourra le retrouver, qui vaudra bien le premier, à ce que dit Archiloque[1] ; mais quand la philosophie est ainsi honteusement rejetée, le moyen de la reprendre ! Et puis, Bacchus ne saurait m’en vouloir, si je m’abstiens de toute espèce de vin ; tandis que, si je montre que je préfère le vin de datte au vin de raisin, il s’en indignera, j’en suis sûr, et dira que je méprise le don qu’il a fait aux hommes. D’ailleurs, ce Dieu n’est pas loin : le guide vous a dit que nous approchons de la montagne de Nysa, sur laquelle, si je ne me trompe, il fait beaucoup de choses

  1. Poëte grec du viie siècle avant J.-C.