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nés, qui ne seraient peut-être jamais venus au monde, comment les comparerais-je à des années ? Les monstres naissent rarement, ou s’ils naissent, ils meurent vite. Croyez-moi donc, et allons prier les dieux qui nous révèlent ainsi l’avenir. »

XXIII. Comme Apollonius s’avançait vers la terre de Cissie[1] et approchait de Babylone, un dieu lui envoya un songe. Voici quel était ce songe. Des poissons, jetés sur le rivage s’y débattaient et faisaient entendre des gémissements humains ; ils se plaignaient d’être hors de leur demeure habituelle, et suppliaient un dauphin qui nageait près de la terre de leur porter secours ; ils faisaient pitié comme des exilés qui se lamentent loin de leur patrie. Ce songe ne l’effraya nullement, il en vit tout de suite la signification et la portée ; mais, voulant faire peur à Damis, qu’il savait un peu timide, il lui dit ce qu’il avait vu, et feignit d’en être effrayé comme d’un présage sinistre. Aussitôt Damis de pousser des cris, comme si lui-même avait eu cette vision, et d’engager Apollonius à ne pas pousser plus avant. « J’ai bien peur, disait-il, que nous ne ressemblions à ces poissons, et que nous n’allions chercher notre perte loin de notre pays. Nous serons réduits à nous lamenter sur une terre étrangère, et, ne sachant comment échapper aux derniers périls, il nous faudra tendre des mains suppliantes vers quelque roi ou quelque prince, qui nous méprisera comme les dauphins ont méprisé les poissons. — Allons, dit Apollonius en riant, vous n’êtes pas encore philosophe si un tel songe vous fait peur : je vais vous dire ce qu’il signifie. La terre de Cissie, où nous sommes, est occupée par des Erétriens, que Darius, il y

  1. La Cissie est le pays de Suse (Susiane). Eschyle (Perses, v. 17) et Strabon (liv. XV) parlent d’une ville du nom de Cissia, qui n’est peut-être pas autre que Suse.