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pays si voués à la mollesse, il ne parla pas une fois, on ne l’entendit même pas proférer une syllabe. Quand il arrivait dans une ville agitée par une émeute (et il y avait souvent des émeutes à l’occasion de spectacles déshonnêtes), il paraissait en public, et par ses gestes, par sa physionomie, indiquait la réprimande qu’il aurait voulu exprimer : aussitôt tout tumulte cessait, et il se faisait un silence aussi profond que dans les mystères. Mais calmer des hommes qui se disputent au sujet de mimes et de chevaux, ce n’est pas encore là un bien grand succès : car ceux que de si futiles motifs ont jetés dans le désordre, quand ils voient paraître un homme, rougissent d’eux-mêmes, se font les premiers des reproches, et reviennent facilement à la raison ; mais quand une ville est pressée par la famine, il n’est pas aisé de trouver un langage assez insinuant et assez persuasif pour changer ses sentiments et calmer sa colère. Apollonius, lui, dans de telles circonstances, obtenait tout par son seul silence. Ainsi il vint dans la ville d’Aspende, qui est située sur le fleuve Eurymédon, et qui est la troisième des villes de la Pamphylie. Les habitants se nourrissaient de vesces et de légumes grossiers qu’on ne mange que par nécessité : les riches avaient caché le blé, dont ils faisaient trafic hors du pays. Une foule composée de personnes de tout âge était soulevée contre le gouverneur, et déjà l’on menaçait de le brûler vif, bien qu’il se fût jeté aux pieds de la statue de l’empereur, qui était alors plus redoutée et plus sacrée que celle de Jupiter Olympien : c’était la statue de Tibère, d’un prince sous le règne duquel on condamna, comme criminel de lèse-majesté, un homme pour avoir frappé un de ses esclaves qui avait sur lui une drachme d’argent frappée à l’effigie de Tibère. Apollonius s’approcha donc du gouverneur, et lui demanda par signes ce dont il s’agissait : le magistrat protesta de son innocence, déclara qu’il souffrait le même tort que le