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lui aurait fait tout faire, et en lui reprochant de faire de la philosophie métier et marchandise. Mais cela sera dit en son lieu.

XIV Euxène demandait un jour à Apollonius pourquoi il n’écrivait pas, bien qu’il eût de hautes pensées, et qu’il s’exprimât avec élégance et vivacité. « C’est, répondit Apollonius, que je n’ai pas encore gardé le silence. » À partir de ce moment, il crut devoir garder le silence, et s’abstint tout à fait de l’usage de la parole ; mais ses yeux et son esprit n’en étaient que plus actifs, sa mémoire n’en devint que plus riche. Pour la mémoire, à l’âge de cent ans, il surpassait encore Simonide, et il chantait un hymne à la Mémoire, où il est dit que le Temps détruit tout, mais que lui-même, grâce à la Mémoire, ne connaît ni la vieillesse ni la mort. Cependant, durant le silence d’Apollonius, son commerce n’avait rien de désagréable : car il répondait à ce que l’on disait par un mouvement d’yeux, par un geste de la main et de la tête. On ne le vit jamais triste et sombre, et il conserva toute la douceur et toute l’aménité de son caractère. Il avoua, du reste, que cette vie silencieuse, pratiquée pendant cinq ans entiers, lui fut très pénible : car il n’avait pas dit beaucoup de choses qu’il avait eu à dire, il avait feint de ne pas entendre des propos qui l’irritaient, et souvent, sur le point d’adresser à quelqu’un une réprimande, il s’était dit à lui-même : Prends patience, mon cœur ; prends patience, ma langue[1] ! Et il avait laissé passer, sans y répondre, plusieurs attaques dirigées contre lui.

XV. Ce temps de silence, il le passa partie en Pamphylie, partie en Cilicie : dans ses excursions à travers des

  1. Allusion à un vers d’Homère, dans lequel Ulysse se dit à lui-même : « Patience, mon cœur ! tu as supporté des maux bien plus cruels. » (Odyssée, XX, v. 18.)