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[1649] MÉMOIRES

grand parti elle en devint l’aventurière. La grâce a rétabli ce que le monde ne lui pouvoit rendre.

Madame de Chevreuse[1] n’avoit plus même de reste de beauté, quand je l’ai connue. Je n’ai jamais vu qu’elle en qui la vivacité suppléât au jugement : elle lui donnoit même assez souvent des ouvertures si brillantes qu’elles paroissoient comme des éclairs, et si sages qu’elles n’eussent pas été désavouées par les plus grands hommes de tous les siècles. Ce mérite toutefois ne fut que d’occasion. Si elle fût venue dans un siècle où il n’y eût point eu d’affaire, elle n’eût pas seulement imaginé qu’il y en pût avoir. Si le prieur des chartreux lui eût plu, elle eût été solitaire de bonne foi. M. de Lorraine[2], qui s’y attacha à elle, la jeta dans les affaires ; le duc de Buckingham[3] et le comte de Holland[4] l’y entretinrent ; M. de Châteauneuf l’y amusa. Elle s’y abandonna, parce qu’elle s’abandonnoit à tout ce qui plaisoit à celui qu’elle aimoit ; elle aimoit sans choix, et purement parce qu’il falloit qu’elle aimât quelqu’un. Il n’étoit pas même difficile de lui donner un amant de partie faite ; mais dès qu’elle l’avoit pris, elle l’aimoit uniquement et fidèlement-, et elle nous a avoué, à madame de Rhodes et à moi, que, par un caprice, disoit-elle, de

  1. Marie de Rohan, fille d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon, et de Madeleine de Lenoncourt. Elle naquit en 1600 ; elle épousa en 1617 Charles d’Albert, duc de Luynes, et prit en 1621 une seconde alliance avec Claude de Lorraine, duc de Chevreuse. Elle est morte au mois d’août 1679. (A. E.)
  2. Charles IV, duc de Lorraine, mort en 1675. (A. E.)
  3. Georges Villiers, duc de Buckingham, assassiné comme il alloit au secours de La Rochelle. (A. E.)
  4. Lord Anglais, de la maison de Rich, cadet d’un comte de Warwick, et ambassadeur en France. (A. E.)