Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 44.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
[1648] MÉMOIRES

m’y suivit, et j’en eus besoin : car je trouvai une fourmilière de fripiers toute en armes. Je les flattai, je les caressai, je les conjurai, je les menaçai, enfin je les persuadai. Ils quittèrent les armes : ce qui fut le salut de Paris, parce que s’ils les eussent encore eues à la main à l’entrée de la nuit qui s’approchoit, la ville eût été infailliblement pillée.

Je n’ai guère eu en ma vie de satisfaction plus sensible que celle-là ; et elle fut si grande que je ne fis pas seulement de réflexion sur l’effet que le service que je venois de rendre devoit produire au Palais-Royal. Je dis devoit : car vous allez voir qu’il y en produisit un tout contraire. J’y allai avec trente ou quarante mille hommes qui m’y suivirent, mais sans armes : et je trouvai à la barrière le maréchal de La Meilleraye, qui, transporté de la manière dont j’en avois usé à son égard, m’embrassa presque jusqu’à m’étouffer ; et il me dit ces propres paroles : « Je suis un fou et un brutal ; j’ai failli à perdre l’État, et vous l’avez sauvé. Venez, parlons à la Reine en véritables Français et en gens de bien ; et prenons des dates, pour faire pendre à notre témoignage, à la majorité du Roi, ces pestes d’État, ces flatteurs infâmes qui font accroire à la Reine que cette affaire n’est rien. » Il fit une apostrophe aux officiers des gardes, en achevant cette dernière parole, la plus touchante, la plus pathétique et la plus éloquente qui soit peut-être jamais sortie de la bouche d’un homme de guerre ; et il me porta plutôt qu’il ne me mena chez la Reine. Il lui dit en entrant, et en me montrant de la main : « Voilà celui, madame, à qui je dois la vie, mais à qui Votre Majesté doit le salut de sa garde et peut-être celui du