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SUR VILLE-HARDOUIN

insultoient à la misère de ceux qu’ils avoient vus dans la prospérité ; et Nicétas observe qu’ils paroissoient se réjouir de ce qu’un grand bouleversement établissoit momentanément une sorte d’égalité dans toutes les fortunes. Le pillage, qui dura plusieurs jours, coûta la vie à deux mille personnes.

Lorsque l’ordre fut rétabli on procéda au partage du butin : mais un grand nombre de Croisés, entraînés par l’avarice et la cupidité, n’avoient pas exactement rapporté dans les dépôts indiqués le fruit de leurs rapines. Quelques-uns reçurent un châtiment exemplaire, les autres profitèrent d’un pardon que les circonstances forcèrent d’accorder. Quoique plusieurs objets précieux eussent été détournés, les dépouilles qui se trouvèrent dans les trois églises furent immenses. Les Français, après avoir acquitté cinquante mille marcs qu’ils devoient encore aux Vénitiens, se trouvèrent possesseurs de quatre cent mille marcs, qui, selon Gibbon, pouvoient équivaloir à sept années du revenu que possédoit alors la couronne d’Angleterre.

Après que les soldats, gorgés de richesses, eurent assouvi toutes leurs passions, les chefs qui avoient tenté vainement de les contenir, et qui n’étoient parvenus qu’a empêcher la destruction totale de la ville, s’occupèrent de l’élection d’un Empereur. Il ne fut rien changé aux dispositions qu’on avoit prises avant de s’emparer de Constantinople ; seulement les seigneurs jurèrent qu’ils prêteroient tous foi et hommage au prince qui seroit nommé : le doge de Venise, par l’exception la plus honorable, fut seul dispensé de ce serment.

Trois hommes fixoient les regards de l’armée, et