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SUR VILLE-HARDOUIN

campagne, annonçoient les approches de la plus belle ville du monde. Mais si cette vue exaltoit l’imagination des Croisés, et leur inspiroit le plus vif désir de disposer d’un si puissant Empire, d’autres considérations faisoient naître en eux des réflexions sérieuses. Constantinople étoit parfaitement fortifiée par terre et par mer : de formidables tours l’entouroient ; ses murs renfermoient un million d’âmes ; il en pouvoit sortir cent mille combattans ; et l’armée française et vénitienne ne s’élevoit pas à quarante mille hommes.

Les Croisés, voulant reconnoître tous les environs de Constantinople, se portèrent successivement à Calcédoine et à Scutari. Calcédoine, située sur le détroit, vis-à-vis de la capitale, leur offrit, pour la première fois, un palais des empereurs grecs. Les chefs y logèrent. Le luxe des appartemens et des bains, les recherches et les raffinemens de la volupté qui se trouvoient prodigués dans cette délicieuse retraite, révoltèrent ces guerriers habitués à un tout autre genre de vie, mais leur montrèrent en même temps la foiblesse de l’ennemi qu’ils avoient à combattre.

Pendant ces diverses courses, l’usurpateur essaya de les tromper par des négociations. Instruit qu’il y avoit encore dans l’armée beaucoup de mécontens, il espéroit, par des retards, en augmenter le nombre. En soulevant contre les Croisés les habitans des campagnes, il se flattoit de les priver de vivres, de les décourager, et de les forcer enfin à se retirer ou à combattre avec désavantage. Le doge de Venise, qui connoissoit à fond les artifices de la cour de Constantinople, n’eut pas de peine à prémunir les autres chefs contre les pièges qui leur étoient tendus. Tout