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anglais dans les collèges, et la réforme s’étant généralisée, les descendants des Normands eux-mêmes ayant souvent négligé de faire instruire leurs enfants dans leur langue, il en résulta bientôt, au dire de Jean Trevisa (1385), que beaucoup d’enfants « ne surent pas plus le français que leur talon gauche[1] ». En même temps les rois commencèrent à l’abandonner comme langue officielle. En 1362 Edouard III, sur la demande de la commune de Londres, ordonna que les plaids eussent lieu en anglais.[2] L’année suivante le chancelier ouvrit le Parlement par un discours dans la même langue.

Il ne faut pas toutefois attribuer à ces faits plus de signification qu’il n’en ont. Le français continua bien longtemps malgré cela à régner au Parlement, les rois persistèrent à en user dans leur conversation comme dans leurs ordonnances : le propre auteur de la réforme dont nous venons de parler, Edouard III, ne savait pas d’autre langue ; ce n’est que peu à peu que l’anglais conquit ses positions. La transition eût pu être ailleurs assez brusque ; le caractère anglais, respectueux des traditions, la fit très lente. Dans les actes publics l’anglais ne se substitua au français que vers le milieu du XVe siècle[3] ; dans les actes privés, un peu plus tôt, mais les documents en anglais du XVe siècle sont assez

  1. V. Higden, Polychronicon. éd. Babington, II, 161.
  2. « Item pr ce q̄ monstre est soventfoilz au Roi, ꝑ Prelalz, Ducs, Counts, Barons, et tout la cõe, les gantz meschiefs q̄ sont advenuz as plusours du realme de ce q̄ les leyes custumes et estatutz du dit realme ne sont pas conuz cōement en mesme le realme, ꝑ cause qils sont pledez monstrez et juggez en la lange Franceis, qest trop̄ desconue en dit realme, issint q̄ les gentz q̄ pledent ou sont empledez en les Courtz le Roi et les Courtz dautres, nont entendement ne conissance de ce qest dit pr eulx ne contre eulx ꝑ lour Sergeantz et aut[re]s pledours ; et q̄ resonablement les dites leyes et custumes s[e]ront le plus tost apris et conuz et mieullz entenduz en la lange usée en dit realme, et ꝑ tant chescun du dit realme se prroit mieultz gov[er]ner sanz faire offense a la leye, et le mieultz garder sauver et défendr̄ ses héritages et possessions ; et en div[er]ses régions et paiis, ou le Roi les nobles et autrs̄ du dit realme ont este, est bon gov[er]nement et plein droit fait a chescun p̄ cause q̄ lour leyes et custumes sont apris et usez en la lange du paiis. Le roi désirant le bon gov[er]nement et t[ra]nqillite de son poeple, et de ouster et eschure les maulx et meschiefs q̄ sont advenuz, et purront avener en ceste p̄tie, ad pr les causes susdites ordeigne et establi del assent avantdit q̄ toutes plees q̄ s[e]ront a pleder en ses Courtz queconqes, devant ses Justices queconqes ou en ses autres places ou devant ses autr̄s Ministres q̄ conqes ou en les Courtz et places des autr̄s Seignrs qeconqes deinz le realme, soient pledez, monstretz, defenduz, responduz, debatuz et juggez en la lange engleise ; et qils soient [entreez] et enrouliez en latin ». (An 36, Ed. III, 1362. Stalutes of the Realm, tome I, p. 375.)
  3. La série des diplômes français remonte à 1215 ; dans la seconde moitié du XIIIe siècle le français évince complètement le latin.