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la langue, nous savons que de bonne heure à la cour elle fut considérée comme une sorte de seconde langue officielle, dans laquelle dès 1201 on transcrivait les actes[1]. Des interprètes étaient inscrits au nombre des officiers royaux. Des prêtres, comme Basile, qui fit l’oraison funèbre de Baudouin de Marasch, arrivaient à parler également bien les deux langues[2]. Aussi a-t-on pu relever dans les « Assises d’Antioche », que le prince Sempad, de la maison des Hethoumides avait traduites en 1265, des gallicismes comme : harnois, otreia, défendre, quitte, chastier, faillir, sicle, sans aveir. L’infiltration n’est pas allée et ne pouvait aller loin ; les termes de la hiérarchie féodale paraissent avoir seuls été naturalisés[3], et ils ont eux-mêmes disparu avec les distinctions qu’ils représentaient. Toutefois l’un d’entre eux au moins a survécu, et le nom des barons, après s’être répandu dans la Grande Arménie avec le sens de chef, est devenu, paraît-il, le titre commun dont on accompagne les noms propres, l’équivalent de notre « monsieur »[4].

Du côté arabe, il n’y eut bien entendu, aucun élan analogue vers les envahisseurs. Néanmoins on a cessé de s’imaginer qu’une haine farouche séparait, sans rapprochements possibles, des musulmans fanatiques de chrétiens intransigeants, venus pour convertir ou pour tuer. La réalité est tout autre et les documents laissent voir que des rapports nombreux, souvent pacifiques et même cordiaux, s’étaient établis entre fidèles et infidèles, qu’il était même né une population de métis, comme trait d’union entre les races.

Pour la langue, il arriva ce qui se produit presque régulièrement en pareil cas ; ce fut celle des plus civilisés qui exerça sur


    d’émir, hadjeb, marzban, sbaçalar et autres semblables, et ne vous servez pas des titres de sire, proximos, connétable, maréchal, chevalier, lige, comme font les Latins, Changez les costumes et les titres empruntés à ces derniers, pour les costumes et les titres des Perses et des Arméniens, en revenant à ce que pratiquaient vos pères, et alors nous, nous changerons nos usages. Mais Ta Majesté aurait de la répugnance à quitter aujourd’hui les usages excellents et raffinés des Latins, c’est-à-dire des Franks, et de revenir aux mœurs grossières des anciens Arméniens (Recueil des Historiens des Croisades, Doc. Arm., p. 597).

  1. Langlois, Cart. d’Arm., p. 13.
  2. Rec. des Hist. des Crois., Doc. armén., I. 211.
  3. On reconnaît facilement botler (bouteiller) dchamhlaïn (chambellan) dchantsler (chancelier), kountĕsdabl (connestable), ledj (lige), sinidchal (sénéchal), sir (sire), ph’rēr (frère). Ajoutez pĕlvĕlidj (privilège).
  4. Sur toute cette question, v. la Préface de Dulaurier aux Documents arméniens du Recueil des hist. des croisades.