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obligeaient presque à lui trouver de la naissance, coûte que coûte. C’était le temps où Jean Lemaire et son école contaient sérieusement l’origine troyenne des Français, où un faux patriotisme, qui se traduisait en un orgueil enfantin et pédantesque, remplaçait trop souvent l’esprit critique. Et ce vice, qui a gâté les travaux historiques de l’époque, faussa aussi l’esprit des philologues.

En outre, bien que plusieurs ne manquassent pas d’une très réelle valeur et d’une érudition parfois surprenante, ils ont ignoré la méthode véritable. Frappés de l’analogie extérieure et apparente de deux mots, l’un grec et l’autre français, ainsi δειπνεῖν et dîner, sans se demander si les rapports de formes et de sens entre les deux vocables n’étaient pas fortuits, s’ils n’allaient pas diminuant alors qu’on remontait vers les époques où ils auraient dû être plus étroits, sans s’inquiéter non plus si des rapprochements analogues pouvaient s’établir ou non entre la forme primitive et ses représentants dans les langues voisines et parentes du français, ils dérivaient sans hésiter un des termes de l’autre, et c’est d’une série de comparaisons aussi superficielles et fautives qu’ils tiraient une doctrine générale sur les origines mêmes de notre langue.

On pense bien qu’avec de pareils procédés, et si on admet, comme le disait ironiquement dès 1557 un contemporain, que parisien vient de παῤῥησία (bavardage) « à cause qu’aux femmes de Paris ne gela jamais le bec », toutes les hypothèses deviennent possibles[1]. Puisqu’on s’est mis une fois en train, ajoutait ce pyrrhonien, je vous promets que vous en aurez prou. Et en effet, en un siècle on eut identifié notre idiome avec ceux de tous les peuples de l’antiquité, classique ou barbare, dont l’histoire se trouvait mêlée d’une façon quelconque à la nôtre : Grecs, Latins, Hébreux, Celtes et Germains même.

Il est inutile de faire ici l’histoire de ces hypothèses. Disons

  1. Je fais allusion à un livre étrange, mêlé d’études sérieuses et de facéties, qui est intitulé : Discours non plus mélancoliques que divers de choses mesmement qui appartiennent à notre France et à la fin la manière de bien et justement entoucher les lucs et guiternes. Poitiers, chez Enguilbert de Marnef, 1557, in-4o, 112 p. Il y est question tour à tour des antiquités des Gaulois, de Ronsard, et de la fabrication du sucre en pains. Le chapitre XVII. sur les étymologies, qui est peut-être de Peletier du Mans, dénote un rare esprit critique, sous une forme plaisante.