Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Latin classique.

Per Dei amorem et per christiani populi et nostram communem salutem, ab hac die, quantum Deus scire et posse mihi dat, servabo hunc meum fratrem *Carolum, et ope mea et in quacumque re, ut quilibet fratrem suum servare jure debet, dummodo mecum idem agat, et cum Clotario nullam unquam pactionem faciam, quæ mea voluntate huic meo fratri Carolo damno sit.

Si *Clotavigus sacramentum quod fratri suo juravit observat, et Carolus dominus meus pro parte sua suum frangit, si cum non avertere possum, nec ego nec ullus quem ego avertere possim, ullam opem adversus Clotavigum ei feremus.


Latin parlé hypothétique
(de l’époque de transition).

Pro deo amore et pro christiano popolo et nostro commune salvamento de esto die in abante, in quanto deos sapēre et potēre me donat, sic salvaraio eo eccesto mem fratre Karlo et in (adjuta[re])[1] et in catuna causa sic qomo omo per drecto som fratre salvare debet, in o qued elle me altero sic faciat, et ab Luthero nullo placito nunquam prenderaio, qui mem (vol[ero])[2] eccesto mem fratre Karlo in damno sit.

Si Lodovicos sacremento qued som fratre Karlo jurait, conservat, et Karlos mes senior de soa[3] parte ellom som frangit, si eo retornare non ello ende potio nec eo nec neullos cuico retornare ende potio, en nulla (adjuta[re]) contra Lodovico non ellui ero.


Texte.

Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun saluament, d’ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat[4], si salvarai eo cist meon fradre Karlo, et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift[5], in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit.

Si Lodhuvigs sagrament, que son fradre Karlo jurat, conservat, et Karlus meos sendra de suo part lo suon franit[6], si io returnar non l’int pois, ne io ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla aiudha contra Lodhuwig non lui ier[7].


Français du XIe siècle.
(époque du Roland).

Por dieu amor et por del crestiien poeple et nostre comun salvement, de cest jor en avant, quant que Dieus saveir et podeir me donet, si salverai io cest mien fredre Charlon, et en aiude, et en chascune chose, si come on par dreit son fredre salver deit, en ço que il me altresi façet, et a Lodher nul plait oncques ne prendrai, qui mien vueil cest mien fredre Charlon en dam seit.

Si Lodevis lo sairement que son fredre Charlon jurat, conservet, et Charles, messire, de soe part lo soen fraint, si jo retorner ne l’en puis, ne io ne nuls cui io retorner en puis, en nulle aiude contre Lodevic ne li ier.


Moyen français
(com. du XVe siècle).

Pour l’amour Dieu et pour le sauvement du chrestien peuple et le nostre commun, de cest jour en avant, quant que Dieu savoir et pouvoir me donet, si sauverai je cet mien frere Charle, et par mon aide et en chascune chose, si comme on doit par droit son frère sauver, en ce qu’il me face autresi, et avec Lothaire nul plaid onques ne prendrai, qui, a mon veuil, à ce mien frere Charles soit à dan.

Si Loys le serment que a son frere Charle il jura, conserve, et Charle mon seigneur, de sa part le sien enfraint, si je retourner ne l’en puis, ne je, ne nul que j’en puis retourner, en nulle aide contre Loys ne lui serai.


Français contemporain

Pour l’amour de Dieu et pour le salut commun du peuple chrétien et le nôtre, à partir de ce jour, autant que Dieu m’en donne le savoir et le pouvoir, je soutiendrai mon frère Charles de mon aide et en toute chose, comme on doit justement soutenir son frère, à condition qu’il m’en fasse autant, et je ne prendrai jamais aucun arrangement avec Lothaire, qui, à ma volonté, soit au détriment de mondit frère Charles.

Si Louis tient le serment qu’il a juré à son frère Charles, et que Charles, mon seigneur, de son côté viole le sien, au cas où je ne l’en pourrais détourner, je ne lui prêterai aucun appui, ni moi ni nul que j’en pourrais détourner.

  1. Je mets aiudha et plus bas vol entre parenthèses parce qu’ils n’ont jamais existé ; ce sont les radicaux des verbes adjutare, *volere.

    Ce membre de phrase offre un sens bien peu satisfaisant, même en traduisant : par mon aide, et en donnant à la préposition in deux sens différents dans ces deux constructions symétriques, ce qui paraît peu naturel. Clédat a proposé de lire er, je serai, que le copiste de notre manuscrit, se trompant, aurait rendu par & = et. La correction serait excellente, s’il y avait un pronom près de er, tel que li. Mais il est difficile de s’en passer et d’admettre qu’il ait été omis dans un passage qui a été collationné avec soin.

  2. Voir note précédente.
  3. Je traduis par sua parce que l’o de suo dans le texte n’est qu’une notation de l’e muet.
  4. dunat peut être : ou bien un présent, représentant un futur, ou bien le parfait donavit et se traduire par donna.
  5. dift n’est pas suffisamment expliqué ; je le traduis néanmoins par debet, qu’il semble représenter.
  6. le texte donne n̄ lo s̄ tranit ou n̄ lo franit. On est obligé de supprimer n̄ ; d’autres avaient lu non lo suon tanit (non illum suum tenet).
  7. Le texte porte li iuer. On a lu aussi li iv er (illi ibi ero).