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C’est que la poésie est une des manifestations de l’âme du monde, une émanation divine ; elle a pour patries toutes les patries des peuples. Ange, génie, la poésie se plaît à tous les climats, s’adapte et fraternise avec tous les degrés des développements sociaux, avec toutes les physionomies humaines ; elle a son lit et son trône partout ; elle souffle ses émotions au sauvage comme au civilisé ; elle aime tout le monde, et parle toutes les langues. Elle n’a pas plus peur des glaces du Nord que des feux solaires de l’équateur. Elle chante ses harmonies aussi bien dans la neige et au milieu des frimats et du grésil, qu’à travers les sables brûlants des gorges enflammées des déserts, que devant ces mirages pétillants des solitudes desséchées, que sur les traces tourmentées des torrents, que sur cette nature effrayante, pâle, fauve des espaces que le soleil chauffe au degré d’une lave qui se solidifie. La poésie ! mais elle aime tout, elle aime tout dire, tout faire ; en quelque pays que ce soit, elle s’habille de couleurs, de musiques, de richesses, de tristesses, de joies, de pierreries, de rosées, de parfums, de colères, d’amours, de philosophies et de rires. Les védas, les sagas, les niebelungen, les duma, les chants castaliens, les kacideh ou rimes arabes, les odes olympiennes, les vers capitolins, les vers des sauvages, tout cela est frère et sœur ; les noms varient, l’âme est la même.

Ils étaient nombreux ces poètes antéislamiques, ces inspirés de nature, qui de leurs vers charmaient les tentes fauves des tribus vagabondes de l’Arabie, qui disaient, le soir, assis à la lumière blanche de la lune, leurs rimes souples et faciles aux cercles des guerriers, psalmodiaient les louanges de la bataille ou du pillage, chantaient leurs émotions aux jeunes filles et aux femmes assemblées autour d’eux, grondaient leurs menaces ou leurs plaintes aux sentiers du désert, à leurs compagnons de rapines. Oui, dans cette presqu’île in-