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la guerre des boutons


tout ronflait. On cognait à un bout, pan ! par-ci, pan ! par-là ! à grands coups de pieds et de poings, de tabourets et de litres ; tout était bientôt cassé, les chandelles roulaient et s’éteignaient ; on cognait quand même dans la nuit, on roulait sur les tessons de bouteilles et les débris de verre, le sang coulait comme du vin et quand on n’y voyait plus rien, rien du tout, qu’il y en avait deux ou trois qui râlaient et criaient miséricorde, tous ceux qui pouvaient encore se traîner foutaient le camp.

« Il y en avait toujours un ou deux de cabés[1], il y en avait des éborgnés, des autres qu’avaient les bras cassés, les guibolles éreintées, le nez écrabouillé, les oreilles arrachées ; quant à savoir celui ou ceusses qui avaient tué, jamais, jamais on ne l’a su et tous les ans, pendant cent ans et plus, il y en a eu au moins un d’esquinté par fête patronale.

« Quand il n’y avait point de morts, nos vieux disaient : Nous n’avons pas bien fait la fête !

« C’étaient des bougres, et tous y allaient, tous se battaient, les jeunes comme les vieux ; c’était le bon temps ; plus tard ça n’a plus été que les conscrits qui se rossaient le jour du tirage au sort et du conseil de révision, et maintenant… maintenant il n’y a plus que nous pour défendre

  1. Tués.