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la guerre des boutons


Et quand les deux chefs furent presque nez à nez, à deux pas l’un de l’autre, ils s’arrêtèrent. Les deux troupes étaient immobiles, mais de l’immobilité d’une eau qui va bouillir, hérissées, terribles ; des colères grondaient sourdement en tous, les yeux décochaient des éclairs, les poings tremblaient de rage, les lèvres frémissaient.

Qui le premier, de l’Aztec ou de Lebrac, allait s’élancer ? on sentait qu’un geste, un cri, allait déchaîner ces colères, débrider ces rages, affoler ces énergies, et le geste ne se faisait pas et le cri ne sortait point et il planait sur les deux armées un grand silence tragique et sombre que rien ne rompait.

Couâ, couâ, croâ ! une bande de corbeaux rentrant en forêt passèrent sur le champ de bataille en jetant étonnés une rafale de cris.

Cela déclencha tout.

Un hurlement sans nom jaillit de la gorge de Lebrac, un cri terrible sauta des lèvres de l’Aztec, et ce fut des deux côtés une ruée impitoyable et fantastique.

Impossible de rien distinguer. Les deux armées s’étaient enfoncées l’une dans l’autre, le coin des Velrans dans le groupe de Lebrac, les ailes de Camus et de Grangibus dans les flancs de la troupe ennemie. Les triques ne servaient à rien. On s’étreignait, on s’étranglait, on se déchirait, on se