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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

destinée[1]. Ne disons-nous pas aussi que telles « rencontres » se produisent pour nous, comme, à propos des pierres de taille qui composent les murs et les pyramides, les architectes, en les adaptant les unes aux autres selon certaines symétries, disent qu’elles se « rencontrent » ? C’est qu’en somme il n’y a partout qu’une harmonie. Et de même que l’univers, ce corps immense, est composé de tous les corps, de même la destinée, cette suprême cause, est formée de toutes les causes particulières. Les esprits les plus simples ne pensent pas autrement ; ils disent en effet : « Voilà ce que lui apportait le sort. » Oui, telle chose était apportée, telle chose ordonnée à cet homme. Acceptons donc les événements comme nous acceptons les prescriptions d’Esculape. Beaucoup de ces prescriptions sont bien dures ; et cependant nous les accueillons avec joie, dans l’espérance de la santé. Que l’accomplissement parfait des décrets de la nature universelle te paraisse quelque chose de semblable à ta santé. Accueille avec joie tout événement, lors même qu’il te semble pénible, parce qu’il conduit à la santé du monde, qu’il contribue au succès des desseins de Zeus. Zeus n’aurait pas « apporté » cet événement à cet homme, s’il n’avait « importé » à l’ensemble des choses. Une nature donnée n’apporte non plus à l’être qu’elle gouverne[2] rien qui ne lui

  1. [Entre les deux leçons divergentes que donnent pour cette ligne les manuscrits de Marc-Aurèle, je ne saurais approuver le choix de M. Stich : τέτακταί πως αὐτῷ κατάλληλον πρὸς τὴν εἰμαρμένην. Ce texte, qui est celui du florilège de Planude, — où la phrase suivante, sans chercher plus loin, est manifestement arrangée, — a contre lui l’autorité des deux manuscrits complets de Marc-Aurèle (P et A, celui qu’avait reproduit Xylander et le Vaticanus) et l’axiome : lectio difficilior faciliori anteponenda. Il est d’ailleurs facile d’amender la leçon de P et de A, sans en modifier une seule lettre, à l’aide de deux corrections interlinéaires : la suppression d’un accent et la restitution du trait abréviatif qui représente un ν. J’écrirais : τέτακταί πως πρὸς αὐτὸν κατάλληλον εἰς τὴν ειμαρμένην (P et A donnent πῶς et αὐτό). La locution τέτακταί πως πρὸς αὐτόν ainsi rétablie m’en paraît comprendre deux fondues en elle, — que nous trouverons séparées dans la dernière partie de la pensée : καὶ σοὶ συνετάττετο, καὶ πρὸς σέ πως εὶχεν ; la seconde (cf. deux notes plus bas) appartient en propre à la terminologie stoïcienne. — La préférence accordée ici à P et à A nous oblige à écrire à la fin de la phrase précédente κατάλληλον εἰς ὑγίειαν, sur leur témoignage, et non πρός ύγίειαν, qui est la leçon de Planude. Ces diverses restitutions ne modifient pas, d’ailleurs, le sens du passage.]
  2. [Couat : « Le hasard n’apporte rien qui ne soit la condition des desseins de la nature. » — Il ne saurait être ici question de « hasard ». (Cf. supra II, 3, dernière note, la définition stoïcienne de τύχη.) — Ἡ τυχοῦσα φύσις, « la première nature venue » — tel est le sens usuel de ό τυχών — se distingue de Ζεῦς ; comme plus haut, à la fin de la pensée V, 3 (cf. la dernière note), la nature individuelle de la nature universelle. Cette distinction s’affirmera dans les phrases qui suivent.]