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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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Je marche suivant les desseins de la nature, jusqu’à ce que je tombe et me repose après avoir exhalé mon dernier soupir dans cet air que je respire chaque jour ; jusqu’à ce que je tombe[1] sur le sol où mon père a puisé la semence de mon être, ma mère mon sang, et ma nourrice son lait, ce sol qui m’alimente et m’abreuve chaque jour depuis tant d’années, qui porte mes pas, et dont pour tant de choses je ne cesse d’abuser.

5

On ne peut pas t’admirer pour ta finesse. Soit. Mais il y a bien d’autres choses à propos desquelles tu ne peux pas dire : « Je ne suis pas fait pour cela. » Montre-nous[2] donc ces vertus qui dépendent entièrement de toi : la sincérité, le sérieux, la résistance à la fatigue, l’austérité, la résignation à la destinée, la frugalité, la bienveillance, la liberté de l’âme[3], la simplicité, la discrétion, la générosité. Ne vois-tu pas combien de qualités tu pourrais montrer[4] dès maintenant, dont aucune incapacité naturelle ou inaptitude ne saurait excuser le manque ? Et cependant tu te contentes de ton infériorité. Es-tu donc obligé, sous prétexte que tu es mal doué, à murmurer, à être avare, à flatter, à accuser ton corps, à chercher à plaire, à être frivole, à porter une âme toujours inquiète ? Non, par les Dieux ! Il y a

    Chrysippe, qui le proclama nettement, Cléanthe aurait opposé la nature universelle à la nature individuelle, et prescrit, en cas de conflit, de ne suivre que la première ; ou, plus précisément, tandis que Chrysippe entendait par le mot φύσιν : τήν τε κοινὴν καὶ ἰδίως τὴν ἀνθρωπίνην, Cléanthe ne reconnaissait qu’une « nature » : τὴν κοινὴν μὀνην οὐκέτι δὲ καὶ τὴν ἐπὶ μέρους. Zeller (Phil. der Gr., III3, p. 211, en note) doute que Diogène ait bien interprété la pensée de Cléanthe, et conçoit à peine la possibilité de ce désaccord. Pour lui, Cléanthe n’aura parlé que de la nature universelle (mais sans l’opposer pour cela à notre nature propre : que serait alors devenue l’harmonie du monde ?) et Chrysippe aura développé, sans les contredire, la doctrine et la formule de son maître.]

  1. [Couat : « couché sur le sol. » — Il y a dans le texte grec une négligence, la répétition de πεσών, que j’ai conservée dans la traduction.]
  2. [Var. : « procure-toi. »]
  3. [Couat : « l’indépendance. » — Nous entendons par « liberté » (ἐλευθερία) l’état de l’âme exempte de passions (infra XI, 20, dernière note). Ce mot s’oppose à l’expression ῥιπτάζεσθαι τἤ ψυχἤ (« porter une âme toujours inquiète » ), qu’on trouvera un peu plus bas.]
  4. [Var. : « te procurer. »]