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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

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Hippocrate, après avoir guéri beaucoup de maladies, tomba lui-même malade et mourut. Les Chaldéens prédirent la mort de beaucoup de gens ; puis la destinée les prit à leur tour. Alexandre, Pompée, Caius César, après avoir détruit tant de villes de fond en comble et défait en bataille rangée tant de milliers de cavaliers et de fantassins, sortirent eux-mêmes un jour de la vie. Héraclite, qui fit tant de raisonnements sur la nature et sur l’embrasement du monde, devint hydropique, se fit enduire de fiente et mourut. La vermine a tué Démocrite ; une autre vermine tua Socrate. Qu’est-ce donc ? Tu t’es embarqué, tu as pris la haute mer, tu as fait la traversée ; débarque. Est-ce pour vivre une autre vie ? Là-bas non plus, rien n’est vide de Dieux. Est-ce pour ne plus rien sentir ? Tu cesseras donc d’être en proie à la douleur et au plaisir ; d’être l’esclave de ce vase d’autant plus méprisable que ce qui lui est soumis lui est supérieur[1] ; ceci, en effet, s’appelle raison et dieu intérieur[2] ; cela n’est que de la terre et du sang[3].

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Ne consume pas le temps qui te reste à vivre en des idées[4] qui concernent les autres, sans que tu puisses les

  1. ἢ περίεστι τὸ ὑπηρετοῦν. — Ce passage difficile a été interprété de plusieurs façons. L’auteur fait ici une comparaison entre le corps et l’âme. Il vient de dire : « le corps est d’autant plus vil… ; » on attend donc le second terme de la comparaison. Le sens général de ce second terme est indiqué par les mots τὸ ὑπηρετοῦν, qui se rapportent évidemment à l’âme opposée au corps, et la phrase se complète naturellement ainsi : « que ce qui lui est soumis (au corps) vaut mieux que lui. » On doit donc laisser intacts les mots περίεστι τὸ ὑπηρετοῦν, qui sont dans tous les manuscrits, sauf D. Il ne reste à examiner que la conjonction , qui ne peut marquer le rapport des deux phrases. C’est là que se trouve la faute, et il est possible de la corriger en substituant à le corrélatif de τοσούτῳ. J’adopte donc la correction ὅσῳ, déjà proposée par Casaubon, et j’écrirai τοσούτῳ χ. τ. α. ὅσῳ περίεστι τὸ ὑπηρετοῦν. Le texte de Stich : ἢπερ ἐστὶ τὸ ὑπηρετοῦν, bien que confirmé par le manuscrit D, ne me paraît pas intelligible.
  2. [Couat : « est intelligence et essence divine. » Voir plus bas (V, 27 et en note) la définition du dieu intérieur ou génie. Ne pas oublier que, pour les Stoïciens, raison et génie sont matière — plus subtile sans doute et plus pure que la terre et le sang — mais matière aussi.]
  3. [Var. : « l’autre n’est que terre et impureté. » — Λύθος signifie, en effet, sang impur, sang mêlé de terre. Il était inutile, dans la traduction, d’exprimer deux fois l’idée de terre ; et il était préférable de donner du même mot déjà rencontré (II, 2) et traduit par sang, une interprétation unique.]
  4. [Couat : « pensées. »]