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APPENDICE

écrire ici, mais que nous retrouvons, sans autre explication, dans la plupart des Pensées où il a envisagé notre destinée future : le mot σϐέσις, « extinction ». L’âme s’éteint, c’est-à-dire meurt, lorsque toute flamme et toute chaleur, la flamme de raison et la flamme de vie, se retirent d’elles. C’est, du moins, l’une des façons dont le stoïcien Cornutus, au rapport de Jamblique (dans Stobée, I, 922), expliquait non seulement la mort de l’âme, mais, après elle ou en même temps qu’elle, la mort de l’homme tout entier. Marc-Aurèle, qui oppose toujours l’extinction à la survivance, a certainement été tenté par l’hypothèse de Cornutus. Pour d’autres que Cornutus et Marc-Aurèle (cf. Plutarque, Plac. phil., IV, 7, 8 ; le texte est donné un peu plus bas), cette explication de la mort de l’âme n’exclut peut-être pas toute hypothèse de survivance. Mais il est certain qu’en ne séparant pas l’extinction de l’âme de la mort de l’homme, un Stoïcien s’épargnait l’embarras de répondre à deux questions : Quelle cause, distincte de celle qui a fait sortir l’âme du corps, pourra libérer la raison de l’âme ? comment concevoir la vie de celle-ci dans l’intervalle ?

Les Stoïciens, qui admettaient l’hypothèse de la renaissance périodique du monde et des « grandes années », pouvaient éluder la première de ces difficultés, en laissant subsister l’âme jusqu’à la conflagration universelle. Ce système avait surtout l’avantage de faire ressembler autant que possible la survivance à l’immortalité. — Restait à expliquer la survivance : il paraît possible d’en déduire la théorie de la présente pensée, bien que Marc-Aurèle n’y semble plus tenir au dogme de l’embrasement du monde.

L’âme, dit-il d’abord, demeure pour un temps dans les airs comme le corps dans le sol. Mais, même pour lui, ce n’est là qu’une comparaison à l’appui d’une hypothèse ; et cette comparaison ne tend qu’à montrer la nécessité du changement qui achèverait le séjour de l’âme, non la possibilité de ce séjour même. — Ce qui suit est heureusement plus explicite : un changement se produit ; l’âme (voir deux notes plus bas) « se subtilise » et « s’enflamme ». Qu’est-ce à dire, sinon que la partie aérienne et irrationnelle de l’âme se convertit en feu, puis en feu artiste, ou en raison ? Qu’après la mort de l’homme, la raison qui, durant sa vie, était déjà en lui le « principe dirigeant », se repaît, pour ainsi dire, du reste de son âme ? Ainsi peut se traduire en langage matérialiste — et se justifier dans la métaphysique stoïcienne — la purification qui, d’après Sénèque (ad Marciam, XXIII), attarde les âmes sur la route du ciel.

Cette théorie (si d’une ligne de texte il n’est point trop arbitraire de déduire une théorie) n’est pas sans analogue dans la métaphysique stoïcienne ; l’embrasement de l’âme humaine qui en doit épurer et subtiliser la matière, annonce l’immense incendie qui, au terme de la « grande année », prendra toute la matière du monde, même inanimée, pour en faire de l’âme. Τῇ μὲν ἐκπυρώσει καὶ τὰ ἄψυχα τοῦ κόσμου φασὶς εἰς τὸ ἔμψυχον τρέπεσθαι (Plutarque, de Stoïc. repugn., 1053, C). Cette symétrie est séduisante, si elle n’ajoute rien à la cohésion du système ; et la plupart des Stoïciens se sont complu à la prolonger. De même que Zeus, une fois que l’embrasement général a fait rentrer toute matière en lui, se repose (« acquiescit sibi » : Sénèque, ad Lucil. IX, 16) avant de réorganiser l’univers, de même l’âme, disent-ils, lorsqu’elle n’est plus que flamme et raison, n’a plus de transformations à subir, jusqu’à ce que Zeus la reprenne en son sein : Μακράς τινας χρόνων περιόδους… ἐν οὐρανῷ περιπολούσας, ἄχρι ού συνδιαλυθῶσις… εἰς πῦρ νοερὸν ὰναφθεῖσαι (Plutarque : Non posse suaviter vivi sec. Ep., dernières phrases). Cette très longue période est pour l’âme celle de la vie bienheureuse, dont Sénèque a décrit les délices (dernières pages de la consolation à Marcia). Il y a ainsi pour l’homme, dans la doctrine, un motif d’espérance, et le platonicien Plutarque en a pu faire gloire au stoïcisme. Mais la théorie avait reçu de Chrysippe un dernier perfectionnement. Avant lui, Cléanthe (Diogène, VII, 157) laissait subsister toutes les âmes sans distinction ; sans refuser un certain répit, même aux plus vulgaires, Chrysippe fit de cette longue survivance le privilège des seules âmes de sages. La distinction qu’il établit ainsi entre les âmes — et dut justifier par des raisons physiques — donnait à l’« autre vie » une valeur morale. C’est sans doute sa doctrine, acceptée communément par ses successeurs, que résume en quelques mots Plutarque dans les Placita phllosophorum (IV, 7, 8) : οἶ Στωἲκοί [φαοι τὴν ψυχὴν] ἐξιοῦσαν ἐκ τῶν σωμάτων οὔπω φθείρεσθαι ὰλλ′ ἐπιδιαμένειν τινὰς χρόνους καθ′ αὐτήν′ καὶ τὴν μὲν ὰσθενεστέραν ἐπ′ ὀλίγον (ταὐτην δὲ εἶναι τῶν ἀπαιδεύτων), τὴν δὲ ἰσχυροτέραν (οἶά ὲστι περὶ τούς σόφους) καὶ μέχρι τῆς ἐκπυρώσεως. L’âme la plus forte, celle du sage, est celle où domine la flamme de raison, celle qui