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Il n’y a point de nature inférieure à l’art, car l’art imite la nature. S’il en est ainsi, la nature la plus parfaite de toutes, celle qui comprend toutes choses, ne peut le céder en industrie à l’art. Tous les arts font ce qui est inférieur pour le subordonner à ce qui est supérieur ; la nature universelle ne procède donc pas autrement. Là est l’origine de la justice d’où proviennent les autres vertus, car on ne peut observer la justice si l’on s’attache aux choses indifférentes, si l’on est facile à tromper, téméraire et changeant.

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Puisque les choses ne vont pas vers toi et que, cependant, tu es tourmenté par le désir ou par la crainte, c’est que, d’une façon quelconque, tu vas vers elles. Que ton esprit reste en reposé et s’abstienne de les juger ; comme elles demeureront elles-mêmes immobiles, on ne te verra plus ni les désirer ni les craindre.

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L’âme est une sphère parfaite (?) quand elle ne se tend pas


i. [Couat: « si l’on se porte avec ardeur vers les choses indifférentes. » — Cf. supra VI, 32, i" note; IX, 4o, note finale, etc.] 2. [Cf. supra IX, i5.]

3. [Marc-Aurèle a usé pour son raisonnement d’un artifice de langage dont le français ne nous laisse pas la ressource. Devant SiuSÇei; et çuyâi, wv peut être un génitif subjectif et un génitif objectif. Le syllogisme, mis en forme, pourrait se présenter ainsi: Ce qui trouble la vie humaine, ce sont des poursuites et des fuites, — soit que les choses nous poursuivent et fuient devant nous (génitif subjectif), — soit que nous les poursuivions et fuyions devant elles (génitif objectif). Or, ce ne sont pas les choses qui vont à nous ou qui nous fuient. C’est donc nous qui allons à elles ou les évitons.]

4. [’Hisu^aséTM- Ce terme appartient autant au vocabulaire do la logique qu’à celui de la morale. En face d’un sorite (« Est-ce que 100 grains de blé font un tas? Et 5o? Et 20? Et 5? etc... »), les Stoïciens prenaient le parti d’arrêter le raisonnement avant que la question posée ne devînt absurde: c’est ce qu’ils appelaient en grec rp<r/iZ,zw et, en latin, quiescere. Cf. Zeller, Phil. der Gr., III2, p. n5, note 2.]

5. [Couat: «L’âme est une sphère partout semblable à elle-même...»—Je n’admets qu’avec peine, et faute d’une bonne conjecture, le texte traditionnel, aùToeiSr,;, qui, pour moi comme pour M. Polak (Hernies, XXI, p. 333), « ne signifie rien. » La correction de M. Rendall, aùtoio^; (« l’âme est une sphère qui se voit ellemême»), introduit dans la première’partie de la pensée une idée qui doit être réservée pour la seconde. Celle de M. Polak, Gcjtoelsi; (« sphaera est ipsissima animi imago»), me semble impliquer une contradiction : comment la «forme en soi» pourrait-elle être la forme d’une chose déterminée?— En tout cas, la comparaison de l’âme et de la sphère, dont la forme est parfaite, nous est déjà connue (supra VIII, 41), et nous la retrouverons plus loin (XII, 3).]