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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

tourmenter[1] ? Ne te suffit-il donc pas de parcourir décemment cette courte existence ? Quelle matière, quel sujet de réflexion tu laisses échapper[2] ! Qu’est-ce, en effet, que tout cela, sinon une occasion d’exercer notre raison par l’examen attentif et philosophique de la vie ? Tiens donc bon jusqu’à ce que tu te sois pénétré de toutes ces vérités, de même qu’un estomac robuste s’assimile tous les aliments et qu’un feu brillant transforme en flamme et en clarté tout ce qu’on y jette[3].

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Qu’il ne soit permis à personne de dire vrai en disant de toi que tu n’es ni simple ni bon ; que quiconque te juge ainsi en ait menti ; cela dépend de toi. Qui peut, en effet, t’empêcher d’être simple et bon ? Sois seulement décidé à ne plus vivre si tu n’es pas tel[4]. Car la raison ne te commande pas de vivre si tu ne l’es pas.

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Telle matière[5] nous étant donnée, qu’est-il possible de dire ou de faire de plus raisonnable ? Quoi que ce soit, tu peux le faire ou le dire. Ne donne pas pour prétexte que tu en es empêché. Tant que tu ne feras pas, avec la matière qui t’est fournie et qui tombe sous ton action, ce qui convient[6] à ta constitution d’homme[7] ; tant que tu ne seras pas aussi sensible à ce plaisir que l’homme efféminé est sensible à la volupté, tu ne cesseras point de gémir. Il faut considérer comme une jouissance toute action possible conforme à notre

  1. [Sur la correction de τί οὖν έν τίνι ou σὺ οὖν έν τίνι, que donnent ici les manuscrits, en τί ἐντείνῃ, cf. supra IX, 28, note 2. — Couat : « et toi, combien de temps dureras-tu ? » ]
  2. [Sur les divers sens d’ὑπόθεσις chez Marc-Aurèle, cf. supra VIII, 1, 2e note, rectifiée aux Addenda. Nous connaissons, d’autre part, ὕλη dans l’acception spéciale de « matière de l’action » (supra IV, 1). Ici les deux mots se précisent l’un l’autre. Si nous les avons bien entendus, la phrase n’est pas interrogative, comme ont pensé les divers traducteurs jusqu’à M. Couat, mais exclamative. Or, c’est le même sens qu’exprime le pronom initial (οἵαν et non ποίαν).]
  3. [Cf. supra IV, 1, dernières lignes.]
  4. [Sur le suicide, cf. supra VIII, 47, note finale.]
  5. [Entendez par la « matière » la « matière de l’action ». Cf. trois notes plus haut.]
  6. [Ici, il paraît bien difficile de distinguer οἰκεῖον de καθήκον. Cf. supra VI, 19, en note.]
  7. [Couat : « à la nature humaine. » — Cf. supra VI, 44, note finale.]