Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
PENSÉES DE MARC-AURÈLE

impie. Je dis que la nature les admet également. Cela signifie que ces choses arrivent également à tous les êtres qui naissent et se succèdent, comme la conséquence logique[1] d’un antique décret de la Providence, qui, ayant à l’origine décidé à un certain moment d’organiser ce monde, conçut telle et telle raisons[2] et détermina telle et telle forces génératrices des êtres à venir, avec leur existence, leurs métamorphoses, leur succession, telles que nous les voyons.

2

Il serait digne d’un homme supérieur[3] de sortir du milieu des hommes sans avoir même goûté au mensonge, à l’hypocrisie, à la luxure et à l’orgueil. Il y a encore une ressource, si l’on échoue[4], c’est de mourir dégoûté de tout cela. Préférerais-tu demeurer auprès du vice, et l’expérience ne te persuade-t-elle pas encore de t’enfuir loin de cette peste ? La corruption de la pensée est une peste [en effet, et bien] plus terrible que celle qui altère et corrompt l’air dont nous sommes enveloppés. Celle-ci n’est que la peste des êtres

  1. [Le texte du passage est contesté. M. Couat a traduit la leçon du manuscrit A, qui est devenue celle de M. Stich : κατὰ τὸ ἐξῆς τοῖς γινομένοις καὶ ἐπιγινομένοις ὁρμῇ τινι ἀρχαιᾳ τῆς προνοίας. Dans la vulgate τοῖς manque. Coraï s’est autorisé de cette lacune pour corriger le texte de A, où l’article indispensable aurait été, selon lui, arbitrairement replacé. Il lit : τοῖς κατὰ τὸ ἐξῆς γινομένοις, ce qui fait presque un pléonasme avec les deux mots qui suivent. N’y aurait-il pas là une glose ? M. Rendall l’a pensé.

    Le sens ordinaire de κατὰ τὸ ἐξῆς dans les Pensées ne me paraît guère justifier ces deux corrections. Suivie le plus souvent d’un régime au datif (voir l’Index de M. Stich), cette expression marque moins la succession que la conséquence logique. D’autre part, les dernières lignes du présent article expriment un déterminisme absolu, qui fait tout découler d’un acte initial et unique de la Providence : ce n’est pas la première fois (voir la dernière note au livre VII) que nous rencontrons cette doctrine dans les Pensées. Il est extrêmement vraisemblable que les mots κατὰ τὸ ἐξῆς tiennent lieu ici de la formule habituelle κατ´ ἐπακολούθησιν.

    C’est du moins ainsi que les a interprétés M. Couat. — Je me demande si les mots κατὰ τὸ ἐξῆς n’ont pas été déplacés dans les manuscrits. La phrase serait beaucoup plus claire s’ils précédaient immédiatement ὁρμῇ τινι.]

  2. [Couat : « en conçut l’ordre logique et détermina la loi des puissances génératrices des êtres à venir. » — Évidemment, le mot λόγους et la périphrase qui l’accompagne, δυνάμεις γονίμους, désignent ici les « raisons séminales », que j’ai définies à la seconde note de l’article IV, 14.]
  3. [Sur le sens de χαριέστατος, cf. la 4e note à la pensée VI, 14.]
  4. [Le proverbe δεύτερος πλοῦς (cf. Platon, Phédon, 99 D), dont les mots « si l’on échoue » ne donnent qu’une traduction bien terne, désigne la navigation à la rame, lorsque le vent contraire ne permet pas de tendre les voiles, et par suite tout expédient qui, à défaut du meilleur moyen, permet encore de se tirer d’affaire. — Couat : « Il y a encore une bonne manière de les quitter. »]