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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

dépérir, vieillir et devenir inutile. De tout cela elle fait des choses nouvelles, pour n’avoir besoin ni de matière[1] empruntée au dehors ni d’un endroit où jeter sa pourriture. Elle se contente de l’espace et de la matière qui lui appartiennent, et de l’art qui lui est propre.

51

Dans tes actes point d’indolence ; point de désordre dans tes entretiens ; sache te retrouver parmi tes représentations[2] ; que ton âme ne soit pas toute contractée, puis toute emportée par la joie ; ne t’embarrasse pas d’affaires dans la vie[3].

51 bis[4]

Ils tuent, ils distribuent la chair des victimes, ils lancent des malédictions. Quel rapport y a-t-il entre ces actes et le fait de conserver ta pensée pure, [raisonnable,] modérée, juste ? Si un homme se tenant près d’une source claire et douce l’invectivait, l’eau appétissante ne cesserait pas pour cela de jaillir. Il aurait beau y jeter de la boue, de l’ordure, elle disperserait vite ces immondices et entraînerait tout sans en être souillée. Comment donc te procureras-tu une source intarissable ? En conservant[5] à toute heure de ta vie ta liberté, en restant bienveillant, simple, modeste[6].

    que s’assimile la nature (dont Marc-Aurèle a dû comparer l’œuvre à la digestion des vivants) faisait déjà partie d’elle-même. La comparaison est donc nécessairement inexacte. Pour faire bien comprendre la pensée de l’auteur, il faudrait ajouter quelques mots à son texte, dire par exemple : « La nature transforme en parties d’elle-même, et non en objets distincts d’elle, des malériaux qu’elle ne tire pas d’ailleurs, mais trouve en soi. »]

  1. [Couat : « substance. »]
  2. [Var. : « ne laisse pas vagabonder tes idées. »]
  3. [Couat : « ne passe pas ta vie dans les affaires. » — Je n’ai voulu qu’éviter l’amphibologie.]
  4. Cette pensée est, dans toutes les éditions, rattachée à la précédente, avec laquelle elle n’a aucun rapport. Cependant, d’après les manuscrits A et D, elle formerait un article isolé.
  5. La leçon ordinaire (ἕξεις καὶ μὴ φρέαρ ; φὑου σεαυτόν) est évidemment inacceptable. Il faut adopter celle des manuscrits A et D : ἕξεις ; ἂν φυλάσσῃς σεαυτόν, qui est très claire.
  6. [On ne peut guère admettre la leçon courante : μετὰ τοῦ εὐμενῶς, καὶ ἁπλῶς, καὶ ἁπλῶς, καὶ αἰδημόνως. La conjecture de Reiske : εὐμενοῦς… ἁπλοῦς… αἰδήμονος est très claire ; mais, si on l’admet, comment expliquer la faute ?]