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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

d’y pourvoir. Quelque chose a-t-il fait obstacle à la tendance ? Si tu[1] ne l’as point soumise à certaines réserves, c’est cela[2] d’abord qui est un mal pour l’être raisonnable. Mais si tu regardes comme indifférente une aventure commune[3], tu n’as pas encore souffert de dommage, tu n’as pas rencontré d’obstacle. Les opérations propres à ta raison ne sont ordinairement[4] entravées que par toi seul, car ni le feu, ni le fer, ni un tyran, ni une calomnie, ni rien ne peut l’atteindre. Quand la sphère est achevée, elle demeure ronde[5].

42

Je ne mérite pas de me faire de la peine à moi-même, car jamais je n’en ai fait volontairement à autrui.

43

À chacun ses joies. La mienne est de tenir mon principe dirigeant en bonne santé, de ne me détourner d’aucun homme ni de rien de ce qui arrive aux hommes, de regarder et d’accueillir toute chose avec des yeux bienveillants, et d’en user selon ce qu’elle vaut.

  1. [Théorie de l’ὑπεξαίρεσις. — Cf. supra IV, 1 ; V, 20 ; VI, 50 ; VIII, 35.]
  2. [Couat : « voilà d’abord un mal. » — J’ai tenu à affirmer le sens de ἤδη ὤς, et non ἤδη ὡς, que donnent les manuscrits, et qui ne s’explique pas. Si l’on adopte la correction, fort plausible, de Coraï (ἰδίως), on traduira : « C’est cela précisément qui est un mal… »]
  3. [La leçon traditionnelle (τὸ κοινὸν λαμϐάνεις) est inadmissible ; on n’a pu la traduire sans forcer le sens des mots (Michaut : « si tu acceptes le sort commun »), ou sans ajouter au texte dans la proposition suivante (Barthélemy-Saint-Hilaire : « si tu subis le sort commun, tu n’as pas le droit de dire que… ») ; il doit y avoir là une lacune à combler. La traduction de M. Couat indique assez qu’il l’avait aperçue. On peut lire, en n’ajoutant que six lettres entre τὸ et κοινόν : τοῦθ´ ὤς τι κοινόν, qui donne un sens très clair ; c’est la conjecture que se trouve avoir traduite Pierron ; la plus simple mais aussi la plus suspecte, car la chute de ces six lettres ne peut s’expliquer que par un accident matériel, tache ou déchirure, qui eût nécessairement attiré l’attention du copiste ; le vide eût donc été comblé, bien ou mal. Il est plus vraisemblable que l’erreur est imputable au scribe lui-même, et qu’il manque ici soit un mot omis par étourderie et dont le précédent aura pris la finale (par exemple, δοκεῖς après λαμϐάνειν), soit plutôt toute une ligne commençant ou finissant dans l’archétype par le même groupe de lettres que la précédente. Par exemple : εἰ δὲ τὸ κοινὸν [τοῖς τε ἀγαθοῖς καὶ τοῖς κακοῖς ὥς τι ἀδιάφορον] λαμϐάνεις… C’est une phrase analogue qui est traduite ci-dessus. — Si l’on préfère lire εἰ δὲ τὸ κοινὸν λαμϐάνειν δοκεῖς, on traduira : « mais si tu te dis que tu subis (?) le sort commun. »]
  4. [Par le mot εἵωθεν, Marc-Aurèle a dû réserver le cas de maladie, de vieillesse ou de folie.]
  5. [Voir à la pensée XII, 3, le vers d’Empédocle auquel sont empruntés ces mots et le commentaire qu’en donne Marc-Aurèle lui-même.]