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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

Rappelle-toi donc cette alternative : ou bien[1] le composé dont tu es fait devra se disperser ; [ou bien] ton souffle devra s’éteindre, ou prendre la place nouvelle qui lui aura été marquée.

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La joie de l’homme est de faire ce qui appartient à l’homme. Il appartient à l’homme d’être bon pour ses semblables, de mépriser les mouvements[2] des sens, de discerner parmi les vraisemblances[3], de contempler la nature universelle et ce qui arrive suivant ses lois.

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Trois relations[4] : l’une avec le vase corporel qui nous entoure[5], l’autre avec la cause divine d’où vient tout ce qui arrive à tous, la troisième avec ceux qui vivent en même temps que nous.

  1. [Couat : « Rappelle-toi donc que le composé dont tu es fait devra se disperser ; ton souffle devra s’éteindre… » — Ni M. Couat, ni Pierron, ni Barthélemy-Saint-Hilaire, ni M. Michaut ne se sont avisés que les conjonctions ἤτοι… ἢ… marquaient une alternative. La première hypothèse qu’envisage Marc-Aurèle est l’hypothèse atomiste ; le mot σκεδασθῆναι en rend témoignage (cf. supra p. 60, note 6) ; les deux suivantes (οϐέσις et μετάστασις, cf. IV, 21, 1re  et dernière notes) sont des théories stoïciennes. On remarquera que le mot πνευμάτιον désigne ici à la fois l’âme et le souffle vital (cf. p. 102, note 4).]
  2. [Couat : « les impulsions des sens. » — Cf. supra V, 26, et les notes.]
  3. [Couat : « de discerner les idées plausibles. » — Πιθανὸς n’est pas ἀληθής ; et il y a loin encore de l’idée « plausible » à l’idée sûre. On peut ajouter qu’il n’y a nulle peine à discerner les idées plausibles ; qu’au contraire tout le mérite — et toute la joie — est à les éclaircir et à éviter d’en être la dupe. Ne sont-ce pas précisément les vraisemblances qui nous trompent ?

    Dans la version de M. Couat, « plausible » signifie presque « certain » ; c’est l’équivalent des mots « digne de confiance » ou de « créance », qu’ont écrits les autres traducteurs français. « Plausible » est donc ambigu, tant que le tour de la phrase ne permet pas de comprendre : « plausible, mais seulement plausible ; plausible, mais non assuré. » Il n’en est pas ainsi de πιθανός. L’usage constant de Marc-Aurèle, l’usage ordinaire des autres auteurs grecs a fixé le sens de ce mot. Dans les Pensées, il est toujours possible d’entendre par πιθανότης (IV, 12) une « conviction » — mais non une certitude absolue — qui nous détermine de bonne foi, quand il n’est pas nécessaire de reconnaître que ce nom ou l’adjectif correspondant ne désigne que la « vraisemblance » (VIII, 36), et même la vraisemblance qui nous abuse (III, 2, fin : οὐ πιθανόν, invraisemblable, et pourtant vrai ; V, 6, fin : λογικῇ τινι πιθανότητι παράγεσται, être dupe d’une vraisemblance logique).]

  4. [Couat : « Trois manières d’être : l’une avec le corps… » — Cf. supra VI, 38, 1re  note.]
  5. πρὸς τὸ αἴτιον τὸ πεσικείμενον. Gataker a conservé le mot αἴτιον, qui n’a ici aucun sens, et qui ferait double emploi avec αἰτίαν, qui vient plus loin. On a corrigé αἴτιον en ἀγγεῖον (Walkenaer) et σωμάτιον (Corai). Cette dernière correction me paraît la meilleure. — [Les deux, d’ailleurs, donnent à peu près le même sens, puisque Marc-Aurèle désigne volontiers (III, 3 ; X, 38 ; XII, 2) le corps par ἀγγεῖον ou ἀγγειῶδες περικείμενον. J’ai, pour ma part, préféré la conjecture de Walkenaer, en raison de la ressemblance graphique des mots ΑΓΓΕΙΟΝ (peut-être écrit, par iotacisme, ΑΓΓΙΟΝ) et ΑΙΤΙΟΝ. — Cf. Polak, In M. Antonini Commentarios, Hermès XXI, p. 331.]