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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

dans les deux cas. Il ne faut accuser personne. Si tu le peux, corrige l’auteur du fait ; si tu ne le peux pas, corrige le fait lui-même. Mais si tu ne peux pas même cela, à quoi te sert-il[1] d’accuser ? Il ne faut rien faire inutilement.

18

Ce qui est mort[2] ne tombe pas hors de l’univers. S’il y reste, c’est pour [y] changer et se dissoudre en ses parties, éléments qui composent l’univers et toi-même. Ces éléments eux-mêmes changent et ne murmurent pas.

19

Chaque être, cheval, vigne, est né pour quelque chose. Pourquoi t’en étonner ? Le soleil lui-même te dira : je suis né pour une certaine œuvre, et ainsi les autres dieux ! Toi donc, pour quoi es-tu né ? Pour le plaisir ? Vois si ta raison admet cette réponse[3].

20

Comme un joueur qui lance une balle, la nature poursuit un but dans chacun de ses actes, dans la fin non moins que dans le commencement et dans la durée de chaque être. Quel bien y a-t-il, d’ailleurs, pour la balle à monter en l’air, ou quel mal à descendre ou même à tomber ? Quel bien y a-t-il pour une bulle d’eau à se former[4], ou quel mal à se dissoudre ? Il en est de même d’une lampe[5].

  1. πρὸς τί ἕτι σοι φέρει. Au-dessus de ἕτι σοι φέρει, un manuscrit donne συμφέρει, qui doit être la vraie leçon.
  2. [Cf. IV, 21, 1re note (à l’Appendice).]
  3. [Cf. supra V, 1.]
  4. [Couat : « à se maintenir. » — En grec, συνεστώσῃ. M. Mondry-Beaudouin, rendant compte dans la Revue critique de la traduction de M. Michaut, y a déjà corrigé ce faux-sens, qui remonte à Pierron et à Barthélemy-Saint-Hilaire. Nous avons vu (V, 16, 3e note) que σύστασις était synonyme de κατασκευή.

    On se souvient qu’à l’article VII, 23, Marc-Aurèle demandait : quel bien y a-t-il pour un coffre à être construit, quel mal à être démonté ?]

  5. [On achève aisément la comparaison, puis la pensée. La lampe, qu’on l’allume ou qu’on l’éteigne, reste indifférente. Et l’homme, chez qui la vie s’allume, puis s’éteint ?]