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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

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Tu n’as pas besoin de lire[1]. Mais tu as le loisir de réprimer ton orgueil ; tu as le loisir de vaincre le plaisir et la douleur ; tu as le loisir de t’élever au-dessus de la vaine gloire ; tu as le loisir de supporter sans colère les sots et les ingrats ; que dis-je ? de t’occuper d’eux.

9

Que personne ne t’entende plus blâmer la vie qu’on mène à la cour, pas même toi[2].

10

Le repentir est un reproche que l’on s’adresse pour avoir négligé une chose utile ; or le bien ne saurait être qu’une chose utile : et l’honnête homme s’en doit préoccuper[3]. Mais aucun

    les événements d’une vie, c’est-à-dire en somme tout ce qu’il faut pour être vertueux. Pour compter ainsi, il faut accepter les dogmes du Portique, se dire que l’action conforme à la vertu seule a du prix et qu’elle nous est toujours permise, que les choses nous sont indifférentes, que le corps même « ne nous touche pas », que la pièce est toujours achevée quand elle s’interrompt, et que deux heures bien employées suffisent.

    Rien dans le texte grec ne me semble exprimer l’idée de « catégories » d’êtres. Il paraît, au contraire, évident que τοῦδε et τοῦ ἑτέρον dans la dernière phrase équivalent à ἑκάστοις, qui est écrit à la fin de la précédente. — L’interprétation de M. Couat, qui remonte à Pierron et qu’on retrouve dans le livre de M. Michaut, aurait d’ailleurs besoin d’être elle-même interprétée.]

  1. ἀναγιγνώσκειν οὐκ ἔξεστιν. Ces mots peuvent s’expliquer de plusieurs manières. Si Marc-Aurèle, selon son habitude, s’adresse à lui-même, ils ont nécessairement le sens que je leur ai donné : Marc-Aurèle a plusieurs fois exprimé l’idée que le philosophe devait agir et non pas lire (II, 2, 3 ; III, 14). Au lieu de ἀναγιγνώσκειν, Nauck a proposé ἀναϐιῶναι, qui est ingénieux, mais hypothétique. Le sens de la pensée serait le suivant : il y a des choses que l’homme ne peut pas faire, par exemple ressusciter ; mais il peut toujours être homme de bien. Je m’en tiens au texte des manuscrits, qui offre un sens acceptable.
  2. Le texte des manuscrits μηδὲ σὺ σεαυτοῦ, et non τοῦ σεαυτοῦ, signifie que Marc-Aurèle ne doit pas mal parler de la vie à la cour, non seulement devant les autres, mais à soi-même.
  3. [Couat : « or l’utile ne saurait se distinguer du bien, et l’honnête homme ne saurait éviter de s’en préoccuper, » — et, en note : « Le progrès naturel du raisonnement me paraît presque exiger que la seconde phrase admette comme premier terme, c’est-à-dire comme sujet, le dernier terme, c’est-à-dire l’attribut, de la précédente. D’autre part, l’ordre des mots χρήσιμον et ἀγαθὸν est fixé par la dernière phrase. Il faut avoir établi que ce qui est utile est un bien pour pouvoir écrire que le plaisir, n’étant pas utile, n’est pas un bien. Cela étant, il convient d’écrire, comme l’a fait Reiske, dans la seconde proposition : τὸ δὲ χρήσιμον ἀγαθὸν τι δεῖ εἶναι, au lieu de τὸ δὲ ἀγαθὸν χρήσιμον. » — Les deux arguments de M. Couat m’ont paru plus spécieux que forts. Ils ne sauraient suffire à légitimer une correction. Je m’en suis tenu au texte des manuscrits, qui est d’ailleurs clair et logique.

    L’identité de l’« utile », du moins de ce qui est vraiment « utile » (supra III, 6, fin), et du « bien » est un dogme pour le Portique. Mais l’utilité n’est qu’un attribut du