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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

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D’abord, ne te trouble pas ; tout se passe conformément à la nature universelle ; avant peu tu ne seras rien, ni nulle part[1], comme Hadrien, comme Auguste. Ensuite, considère attentivement la réalité, reconnais-la, et, te souvenant que tu dois être un homme de bien, sachant ce que réclame la nature humaine, fais-le sans te retourner, et dis ce qui te paraîtra le plus juste ; que ce soit seulement avec bienveillance, avec modestie, avec franchise.

6

La nature universelle a pour fonction de déplacer et de changer ce qui est, en prenant ici ce qu’elle rapporte là[2]. Tout évolue[3]. Ne t’en effraie pas[4] cependant ; il n’y a rien de nouveau ; tout est accoutumé ; et tout aussi est réparti également[5].

7

Toute nature est contente de bien suivre sa voie. Une nature raisonnable suit bien sa voie lorsque, dans ses représentations[6], elle n’acquiesce[7] à rien de faux ni d’incertain ; quand elle ne se porte[8] en ses mouvements qu’à des actes de solidarité ; quand

  1. [Cf. les mêmes mots, infra XII, 21.]
  2. [Couat : « de le prendre et de le transporter de côté et d’autre. » — Cf. supra IV, 36, et la note (aux Addenda).]
  3. [Couat : « Tout est métamorphose. » Var. : « Tout est en mouvement. » — J’aurais admis cette variante, qui est la première version de M. Couat, si le mot « mouvement » pouvait en français, comme κίνησις en grec (supra VI, 17, en note), désigner le changement de forme aussi bien que le changement de lieu. Le mot « changement » lui-même ne serait pas exact, car il n’éveille pas l’idée de direction qui est toujours en τροπαί, ni celle de retour au point de départ que Marc-Aurèle y a mise parfois (cf. X, 7 : τροπὴ τοῦ στερεμνίου εἰς τὸ γεῶδες).

    Nous avons eu l’occasion (supra VII, 16, seconde note) de définir l’expression τροπὴ τοῦ ἡγεμονικοῦ, ou τῆς ψυχῆς ou τῆς διανοίας. Les deux sens, psychologique et physique, que les Stoïciens donnent au mot τροπὴ, pourraient être exprimés graphiquement : le premier par une ligne droite, ordinairement une oblique ; le second par un arc de cercle, et à l’occasion par un cercle entier.]

  4. οὐχ ὤστε φοϐηθῆναι. Les deux mots οὐχ et ὤστε ont été intervertis ; il faut lire : ὤστε οὐχί [et sous-entendre δεῖ.]
  5. [Couat : « la répartition des choses est toujours la même. » — Marc-Aurèle précise sa pensée à l’article suivant lorsqu’il dit que la nature universelle « distribue équitablement à chacun, selon son mérite, la durée, la matière, etc. »]
  6. [Couat : « idée. »]
  7. [Couat : « elle ne s’arrête à rien de faux. » — Cf. supra V, 10, première note.]
  8. [Couat : « quand elle dirige ses désirs uniquement vers des actes de solidarité. » — Le mot « désirs » restreint beaucoup trop le sens d’ὁρμαί. Les ὀρέξεις, « inclinations, » dont il va être question à la phrase suivante, sont encore des ὁρμαί. Cf. supra III, 16, 3e note.]