Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


151
PENSÉES DE MARC-AURÈLE

surpris, et se sont plaints. Où sont-ils maintenant ? Ils ont disparu. Pourquoi donc veux-tu les imiter ? Pourquoi, laissant ces agitations contraires à la nature à ceux qui les provoquent et les subissent, ne t’appliques-tu pas de toute ta force à tirer parti des événements[1] ? Ils te seront utiles, en effet, en devenant la matière de ton effort[2]. Mets seulement ton attention et ta volonté à conserver dans toutes tes actions ta beauté morale, et souviens-toi[3] [en outre] que l’objet même de l’action est indifférent.

59

Regarde au dedans de toi-même ! C’est au dedans qu’est la source du bien ; elle peut [toujours] en jaillir, pourvu que tu fouilles toujours.

60

Il faut que le corps lui-même ait une attitude ferme et ne s’abandonne ni dans ses mouvements ni dans son maintien. La pensée se manifeste sur le visage et y fait régner l’expression de l’intelligence et de la modestie ; il faut aussi demander au corps tout entier quelque chose d’analogue. Mais que ce soit toujours sans affectation.

61

L’art de vivre ressemble à celui de la lutte plus qu’à celui de la danse ; il faut y être prêt aux coups imprévus et les attendre debout, sans tomber.

62

Examine sans cesse ce que valent ceux dont tu voudrais invoquer le témoignage, et ce qu’est leur principe dirigeant.

  1. [Couat : « à en faire ton profit. » — Αὐτοῖς ne peut représenter ici que le neutre τὰ αὐτὰ de la première phrase. — Théorie de l’ὑπεξαίρεσις : supra IV, 1, dernières lignes et note finale.]
  2. ὕλη σου ἕσται. Gataker a corrigé avec raison σου et substitué σοι.
  3. μέμνησο ἀμφοτέρων ὄτι καὶ διάφορον. Le mot διάφορον est évidemment altéré, et il faut lire, avec Gataker, ἀδιάφορον. Marc-Aurèle veut dire que toute action est par elle-même indifférente et peut être une occasion de vertu.

    Le mot ἀμφοτέρων, dans cette même phrase, ne se comprend pas seul. Gataker a proposé ἐπ´ ἀμφοτέρων, qui ne me paraît guère meilleur. Les deux alternatives indiquées par ce mot ne sont pas suggérées par ce qui précède. Il est probable qu’il y a une lacune après ὄτι et qu’il faut traduire : souviens-toi de deux choses… et que, etc. Le premier membre de la proposition a été omis.

    [Les mots qui manquent ne seraient-ils pas simplement ὲκείνου τε, rappelant ce qui précède ? Je lirais volontiers : καὶ μέμνησο ἀμφοτέρων, ὲκείνου τε καὶ ὄτι ἀδιάφορον κτλ.]