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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

puis un homme, puis quelque autre chose[1]. Chacun de ces êtres n’est apparu[2] que pour peu de temps. Il n’est pas plus extraordinaire pour un coffre d’être détruit que d’être construit.

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[Un visage irrité est tout à fait contraire à la nature ; il en résulte souvent que l’éclat de la beauté disparaît et finit par s’éteindre sans pouvoir jamais se ranimer. Mais ce qu’il faut tâcher de comprendre, c’est que la colère elle-même est contre la raison ; car, si nous perdons jusqu’au sentiment de nos fautes, quel motif de vivre nous reste-t-il[3] ?]

25

La nature qui régit l’univers va bientôt changer toutes les choses que tu vois ; de leur matière[4] elle en fera d’autres, et d’autres encore de la matière de celles-ci, afin que le monde soit toujours jeune.

  1. [Après avoir rappelé la démonstration (cf. supra IV, 14, note finale) par laquelle Posidonius établit que l’« individu » ne se distingue pas de sa « matière », Stobée (Ecl., I, 436), voulant prouver que l’« individu » est pourtant autre chose que sa « matière », emprunte à Mnésarque une série de comparaisons analogues à celles qu’apporte Marc-Aurèle en ce passage. « Si l’on modèle un cheval, par exemple, » dit Mnésarque, « puis qu’on le brise sous nos yeux et qu’on en fasse un chien, ne pourrons-nous pas dire que quelque chose est qui n’était pas ? » En définitive, tout change pour les Stoïciens, sauf deux choses : la somme totale de matière dans le monde, et, dans l’individu, pendant le temps qu’il vit ou dure, le principe formel qui le définit.]
  2. [Sur la traduction d’ὑπέστη), cf. supra IV, 14, note 1.]
  3. [J’ai traduit le plus littéralement possible cette pensée, qui manque dans le manuscrit d’Aug. Couat. Le texte en est profondément altéré. Pour éviter des restitutions arbitraires, je me suis borné à des corrections très simples, permettant de construire la phrase la plus difficile. Au lieu de « ὅταν πολλάκις ἐναποθνῄσκειν ᾐ πρόσχημα », j’ai lu « ὅταν πολλάκις ἐναποθνῄσκει τὸ πρόσχημα ». Ces corrections suffisent à assurer la suite des idées. Il me semble, en effet, que la pensée se partage en deux démonstrations parallèles dont les termes importants se correspondent de l’une à l’autre : παρὰ φύσιν et παρὰ τὸν λόγονἐναποθνῄσκει et τίς τοῦ ζῆν αἰτία ; — enfin τὸ ἐπίκοτον τοῦ προσώπου et αὐτῷ τοὑτῳ (qu’on pourrait corriger en αὐτὸ τοῦτο, c’est-à-dire αὐτὸ τὸ ἐπίκοτον). Le nœud de la pensée est, à mon sens, dans ces mots αὐτὸ τοῦτο ou αὐτῷ τοὑτῳ, qui opposeraient la colère à l’expression de la colère. Ceux qui ont traduit αὐτῷ τοὑτῳ παρακολουθεῖν πειρῶ par « Tâche de comprendre par là » ou « de conclure de là » n’ont pas rendu compte d’αὐτῷ, et ont dû imaginer, devant l’expression παρὰ τὸν λόγον (ἐστί), un sujet nouveau qui permît d’entendre la dernière phrase.

    Si l’on admet les explications qui précèdent, on verra dans cette dernière phrase le développement non des mots παρακολουθεῖν πειρῶ (« tâche de comprendre »), mais bien de : ὅτι παρὰ τὸν λόγον (« la colère est contre la raison »). La colère nous enlève la conscience de notre faute, comme l’expression de la colère détruit l’harmonie des traits.]

  4. [Couat : « substance. » — Cf. VII, 23, et la 1re  note.]