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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

quelque chose que tu as vu bien souvent. Partout, en haut, en bas, tu trouveras les mêmes choses. Les histoires des temps anciens, celles des temps intermédiaires et des plus récents en sont remplies ; elles se répètent maintenant encore dans nos villes et dans nos maisons. Il n’y a rien de nouveau ; tout est éphémère et accoutumé[1].

2

Les dogmes sont vivants[2] : et comment pourraient-ils périr, si les représentations correspondantes ne s’éteignent pas ? Or, il dépend de toi de les ranimer sans cesse. Je puis, sur tel objet[3], porter le jugement[4] qu’il faut ; si je le puis, pourquoi me troubler ? Ce qui est extérieur à ma pensée ne lui est rien,

  1. [Lieu commun de la doctrine stoïcienne. Cf. IX, 28 ; IX, 14 ; XI, 1 ; V, 13, note finale, etc.]
  2. [Couat : « Comment les croyances pourraient-elles mourir, si les idées correspondantes… » — M. Couat traduit ainsi la leçon traditionnelle, que M. Stich, a, d’ailleurs, conservée dans son édition : τὰ δόγματα πῶς ἄλλως κτλ. Or, ce texte est suspect. Dans le manuscrit A, il comprend deux mots de plus, d’ailleurs inintelligibles, dont je crains qu’on n’ait trop aisément accepté la suppression : en tête de la phrase, et γὰρ entre πῶς et ἄλλως. La conjecture que M. Stich a trop modestement reléguée parmi ses notes (ζῇ τὰ δόγματα· πῶς γὰρ…) me semble très heureuse : elle respecte scrupuleusement les indications de A, et réduit l’erreur initiale à la chute d’une simple lettre. C’est elle que j’ai traduite ci-dessus. — J’ai, en outre, pour δόγματα et φαντασίαι, conformé la traduction de cette phrase à celle des autres Pensées où l’on peut retrouver les mêmes mots avec le même sens. Pour δόγματα, cf., par exemple, IV, 49, note finale, et la fin de la dernière note à l’article III, 16 ; pour φαντασίαι, la 5e note au même article. La définition qui a été donnée de ce dernier mot (τύπωσις ἐν ἡγεμονικῷ) ne concerne, d’ailleurs, que la « représentation » qui achève la sensation, ce que les psychologues appelleraient l’état fort. Nous voyons ici que l’état faible, c’est-à-dire la représentation que « ranime » la mémoire en l’absence de son objet, ou celle que combine l’imagination d’après nos souvenirs, peut être aussi désigné par φαντασία.]
  3. [Δύναμαι περὶ τούτου ὂ δεῖ ὑπολαμϐάνειν. Marc-Aurèle se sert volontiers du neutre τοῦτο pour exprimer, en l’absence de toute désignation antérieure, l’objet présent de sa pensée, même — et surtout — un objet indéterminé. Cf. supra IV, 9, et, un peu plus bas, le début de l’article 5 de ce même livre VII. On rapprochera cet usage de l’emploi des masculins pluriels αὐτῶν, αὐτοῖς (par exemple IV, 16 ; IV, 38 ; cf. la note à l’article VI, 6) pour désigner telles personnes qu’il est inutile de dénommer plus précisément. — Il était peut-être encore plus nécessaire ici qu’ailleurs de laisser dans l’indétermination l’objet que représente τοῦτο. Toute la suite de la pensée (cf. la 4e et la 5e notes), en effet, oppose à la raison immuable et sûre de ses démarches les choses, sans cesse renouvelées et indifférentes à ses yeux, dont elle tire les jugements et les dogmes. On eût presque pu traduire ici περὶ τούτου par : « n’importe quoi. » ]
  4. [Couat : « concevoir ce qu’il faut. » — En d’autres passages, M. Couat lui-même a traduit ὑπολαμϐάνειν par « juger » (IV, 11), et ὑπόληψις (IV, 7) par « jugement ». Il fallait reprendre ici cette traduction, d’abord parce que le « jugement » est l’acte propre de la « pensée » (διάνοια), ensuite parce que les « dogmes » sont non seulement des concepts, mais bien des « jugements ».]