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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

c’est Rome ; en tant qu’homme, c’est l’univers. Ce qui est utile à ces deux cités, cela seul est donc un bien pour moi.

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Tout ce qui arrive à chacun est utile à l’univers ; cela pourrait suffire. Mais prends garde, tu verras, en outre, qu’en général ce qui arrive à un homme est utile aussi aux autres[1]. Emploie ici le mot utile dans le sens qu’on lui donne communément à propos de choses indifférentes.

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La vue continuelle des mêmes objets, la répétition des mêmes jeux au cirque[2] et dans les lieux de ce genre en rend le spectacle fastidieux ; on éprouve le même dégoût d’un bout à l’autre de la vie ; du haut en bas, c’est toujours la même chose et toujours le même point de départ. Jusques à quand cela durera-t-il donc ?

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Pense sans cesse à la foule d’hommes de toute sorte, de toute condition, de toute race, qui sont morts ; descends

    la constitution qu’elle définit. Elle est, d’ailleurs, grosse d’incertitudes et de difficultés, — perplexum et subtile, dit Sénèque, — trop vague en son milieu (quodam modo se habens, ces mots conviendraient presque, pour d’autres que Marc-Aurèle, à une définition de la sensation), et trop précise au début. Si la « constitution » implique, en effet, un « principe directeur » ou une « raison », — avant que la raison ne fût consommée en lui (et l’on sait combien l’élaboration en est lente : voir la dernière des Lettres à Lucilius), — l’enfant n’aurait donc pas de « constitution ». En réalité, celle-ci est mobile ; elle évolue d’âge en âge. Il n’en est que plus nécessaire de mettre dans la définition qu’on en donne le nom du principe efficient et permanent auquel nous devons notre identité. — La nature est déjà, comme on l’a vu (VI, 14, note 2), l’âme du fœtus : en joignant les mots φύσις et παραμένει, c’est Marc-Aurèle lui-même qui a corrigé, pour nous, la formule rapportée et contestée par Sénèque. Finalement, la constitution (κατασκευή), c’est la nature qui demeure en nous, considérée dans ses rapports avec le corps qu’elle dirige. Φύσις, c’est la même nature prise en soi.

    La direction implique le but ou la fin. L’idée de finalité est si intimement associée à celle de la « nature » dans la notion de la κατασκευή que presque constamment dans les Pensées le verbe κατασκευάζεσθαι est accompagné d’une préposition finale : ἐπί, πρὸς ou ἔνεκεν. Il n’est pas sans intérêt d’observer que c’est rarement le cas de φύεσθαι ou de πέφυκα. Cf. au surplus, infra VII, 55, 3e note.]

  1. ὅσα ἀνθρώπῳ, καὶ ἑτέροις ἀνθρώποις. La suite des idées et la construction de cette phrase elliptique montrent que dans la première proposition il faut sous-entendre συμϐαίνει et dans la seconde συμφέρειν, qui sont opposés de la même manière dans la phrase précédente.
  2. [Couat : « la répétition des mêmes scènes au théâtre. » — J’ai conservé dans l’ensemble la traduction de ces premières lignes, bien qu’elle fût assez libre. En somme, προσίσταται est traduit à la phrase suivante par le mot « dégoût ». La « répétition » rend suffisamment τὸ ὁμοειδές.]