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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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Use avec noblesse et liberté[1], toi qui es doué de raison, des animaux et, en général, des choses et des objets[2], qui n’ont pas de raison. Quant aux hommes, qui sont doués de raison, traite-les comme faisant partie de la même communauté que toi. En toute circonstance, invoque les Dieux ; peu importe combien de temps tu agiras ainsi ; trois heures ainsi employées suffisent.

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Alexandre le Macédonien et son muletier furent, après leur mort, réduits au même état : ou ils rentrèrent dans la même raison séminale de l’univers ; ou ils furent également dispersés parmi les atomes[3].

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Vois combien de faits physiques et psychiques se produisent à la fois en chacun de nous dans le même laps de temps imperceptible ; ainsi tu ne seras pas étonné que des faits bien

    tour de la phrase. J’ai dû, d’ailleurs, renoncer à retrouver en français l’effet de style que Marc-Aurèle a obtenu en maintenant ici constamment le genre neutre, même pour désigner des hommes : πεπλανημένα…, ἀγνοοῦντα, au lieu de πεπλανημένοι…, ἀγνοοῦντες, après ἄψυχα et ἄλογα. De la chose à la bête et de la bête à l’homme qui vit dans l’erreur, il y a certes une gradation continue (cf. supra VI, 14, la même hiérarchie) : mais qu’est-ce que « tout cela » — j’emploie à dessein le seul neutre que me fournisse le français, un pronom — en face de l’homme digne de ce nom, qui fait « son devoir » ? L’heureuse incorrection du style met ainsi en pleine lumière l’idée fondamentale du présent article.]

  1. [Couat : « Traite d’une manière généreuse et libérale… les animaux, etc. » — La liberté, nous l’avons vu maintes fois (cf. surtout VI, 8, en note), c’est uniquement, pour les Stoïciens, la liberté de la raison : car « les choses extérieures ne touchent point l’âme » ; c’est l’état d’une âme exempte de passions. Voilà le sens philosophique du mot ἐλευθέρως, — et c’est certainement celui qui domine ici. Mais il est possible, et le voisinage de μεγαλοφρόνως nous y invite, de prendre en même temps ce mot dans son acception usuelle et sociale. En français, nous distinguons « librement » de « libéralement ». Dans un cas analogue (supra V, 7 : voir la note rectifiée aux Addenda), nous avons vu M. Couat hésiter déjà entre ces deux mots. Aucun ne peut être parfaitement exact quand tous deux seraient nécessaires : où la langue est trop riche on ne peut trouver qu’une traduction pauvre.]
  2. [Couat : « les faits. » — Pour le sens de τὰ ὐποκείμενα, cf. supra VI, 3, en note, et VI, 4.]
  3. [Deux hypothèses sont ici en présence : la stoïcienne et l’épicurienne. La première peut se présenter elle-même sous deux aspects, suivant qu’on admet la survivance temporaire de l’âme ou son extinction immédiate (IV, 21, 1re  et dernière notes). Sur la « raison séminale », cf. la seconde note à la pensée IV, 14.]