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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

quelque chose de plus divin ; suivant une route difficile à découvrir, elle s’avance et atteint son but.

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Singulière façon d’agir ! Les hommes ne veulent pas louer ceux de leur temps, qui vivent avec eux, mais ils tiennent beaucoup à être loués eux-mêmes par ceux qui naîtront après eux, qu’ils n’ont jamais vus ni ne verront jamais. C’est à peu près comme si tu t’affligeais de n’avoir pas reçu non plus les louanges de ceux qui ont vécu avant toi.

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Parce qu’une entreprise te paraît difficile, ne juge pas qu’elle est impossible à l’homme ; si, au contraire, elle est possible et s’il appartient[1] à l’homme de l’accomplir, crois que tu peux toi-même la réaliser.

    soit insuffisante, soit que la terminologie de Marc-Aurèle soit impropre, le mot φορὰ ne se trouve pas seulement désigner une chute (κάτω), mais aussi une ascension (ἅνω) rapide. Dans le seul autre passage des Pensées où nous le retrouvions (VI, 15), il exprime la fuite du temps qui passe à la façon d’un fleuve : Chrysippe n’eût sans doute pas désavoué cet emploi de φορά. Dans Sénèque, le verbe ferri, opposé à ire (non it, sed fertur), caractérise la démarche « emportée » ou « précipitée » de la passion : cet emploi figuré dérive tout naturellement du sens premier, — si c’est bien celui que donnait Chrysippe. Si l’on veut prendre la moyenne de ces acceptions diverses, on peut entendre par φορὰ un mouvement impétueux, dont le mobile n’est pas maître : tel le mouvement des vents, des torrents, des incendies, des rochers qui s’écroulent, des éléments déchaînés. Celui de la vertu, au contraire, est essentiellement libre.

    L’expression ἡ τῆς ἀρετῆς κίνησις ne saurait surprendre un lecteur habitué au matérialisme des Stoïciens, averti par la définition des « catorthoses » (supra V, 14), prévenu enfin du sens très large que Chrysippe et son école attribuaient au mot « mouvement ». Le « mouvement de la vertu » est sans doute un certain « changement d’aspect » — μεταλλαγὴν κατὰ σχῆμα — de l’âme ; mais tout changement d’aspect implique, au dire des Stoïciens (Simplicius, Phys. 310 b : οί δὲ ὰπὸ τὴς οτοᾶς κατὰ πᾶσαν κίνησις ἕλεγον ὑπεῖναι τὴν τοπικήν), un changement de lieu, c’est-à-dire un « mouvement », au sens le plus usuel et le plus concret du terme. Il faut surtout se garder de prendre ici le mot κίνησις pour une simple métaphore, sans autre portée que celle que nous formons en français avec le mot « démarches ».

    S’il en est ainsi, on ne peut que s’étonner d’avoir à compter le feu du ciel ou l’éther au nombre des éléments que Mare-Aurèle oppose à la vertu. Il faut l’y compter, parce qu’à la différence des quatre traditionnels, terre, eau, air, feu terrestre, dont le mouvement (infra XI, 20) est rectiligne, ce cinquième élément se meut circulairement (τὸ δ′ αἰθέριον περιφερῶς κινεῖται, Stobée, Ecl., I, 346), et qu’il est précisément question ici d’un déplacement circulaire. On peut s’étonner de l’opposition du mouvement de l’éther à celui de la vertu, parce que les astres sont divins, que la raison est faite de la même flamme, et que la vertu est la raison droite.]

  1. [Couat : « Si… elle est possible et à la mesure de l’homme. » — On ne peut donner d’οἰκεῖον qu’une traduction approchée. Littéralement, ce terme signifie : « domestique, familier, apparenté. » Le sens de « conforme à la nature de l’homme »