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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

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La meilleure manière de le défendre est de ne pas leur ressembler[1].

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N’aie qu’une joie et qu’un appui : passer d’une action utile à la société à une autre action utile à la société, en pensant à Dieu.

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Le principe dirigeant[2] en chacun de nous est ce qui s’éveille et se conduit soi-même, se fait tel qu’il est et veut être, et fait

  1. [Couat : « La meilleure manière de se défendre des autres est de ne pas leur ressembler. » — En ajoutant les mots « des autres » (je n’ai pu moi-même éviter l’addition du mot « leur » ), M. Couat perd l’allure du texte grec, et je crains qu’il n’en fausse le sens. Marc-Aurèle n’est pas un misanthrope : ceux à qui il faut rendre le bien pour le mal, dont il faut rejeter les conseils ou fuir l’exemple, dont il faut se garder enfin, ce ne sont pas « les autres », tous les autres hommes : ce sont plutôt certaines gens, que le sage reconnaît d’instinct, et qu’il n’a pas besoin de nommer, non pas même de ce pronom, à la fois si vague et si précis, « αὐτῶν, αὐτούς, ces gens-là », par lequel il les désigne ordinairement (IV, 38 ; VII, 34 ; VI, 50, etc.).

    Je me suis borné à supprimer les mots « des autres » dans la traduction de M. Couat. Sous prétexte de « sauver ce caractère de notes personnelles, de mémorial intime et négligé que Marc-Aurèle avait donné à ses Pensées » (Michaut, préface), je n’ai pas voulu désarticuler la phrase, et remplacer par deux points les mots : « est de. » Va-t-on chercher un effet de style dans toutes les phrases grecques où manque ἐστί ? Malgré l’omission de ce verbe, la phrase de Marc-Aurèle est complète, et l’omission de l’article devant l’attribut (ἅριστος τρόπος) est le signe de son unité.]

  2. [Définition du principe dirigeant. — Les mots « en chacun de nous », dont l’équivalent manque dans le texte grec, ont été suppléés ici par le traducteur, comme les mots « le monde » à la pensée 5. Ici, c’est la fin de la phrase qui fixe le sens de ἡγεμονικόν : le même mot peut, on l’a vu, désigner à la fois Dieu, raison du monde, et notre raison, qui est « Dieu en nous » (III, 5) ; mais l’expression τὸ συμϐαῖνον, qui d’ordinaire chez Marc-Aurèle s’oppose à τὰ ἐνεργούμενα (cf. IX, 31 ; note à la pensée VIII, 7), ne saurait convenir qu’à des événements de la vie humaine.

    La langue française a des habitudes de précision bien impérieuses ; il est regrettable que, pour satisfaire à leurs exigences, on ait dû ici, à des intervalles si rapprochés, compléter de façons différentes deux expressions synonymes dont le grec se contentait. Qui pouvait mieux établir la parenté des deux principes directeurs, l’intimité de Dieu et de notre génie, que ce fait de les appeler l’un et l’autre exactement des mêmes noms ?

    La définition qui est donnée ici du principe directeur de l’âme ne semble pas complète. Dans une note à la 22e pensée du livre IX, je cite plusieurs textes de Marc-Aurèle d’où il ressort que ce principe directeur est la raison. Νοῦς (III, 16), λόγος (IV, 12 ; V, 14 ; VI, 5, etc.), διάνοια (VII, 64) servent dans les Pensées de synonymes à ἡγεμονικόν. Or, pour reprendre les termes de la définition présente, qu’est-ce pour nous qui « s’éveille et se conduit soi-même, se fait tel qu’il est et veut être, et fait que tous les événements qui lui arrivent lui paraissent tels qu’il veut qu’ils soient », si ce n’est la liberté ? Ce n’est pour un Stoïcien la raison que parce qu’il n’en sépare pas la liberté. Cette forme de définition est contestable, et Marc-Aurèle paraît s’être repris aux premières lignes du livre XI : τὰ ἴδια τῆς λογικῆς ψυχῆς· ἑαυτὴν ὁρᾷ, ἑαυτὴν διαρθροῖ, ἑαυτὴν, ὁποίαν ἃν βούληται, ποιεῖ… Cette fois, « l’âme raisonnable »