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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

elle n’a aucune malice, ne fait de mal à rien et rien ne reçoit d’elle aucun tort. Or, c’est par elle que tout se produit et s’achève.

2

Qu’importe, quand tu fais ton devoir, d’avoir chaud ou froid, d’avoir sommeil ou d’avoir assez dormi, d’être blâmé ou loué, de mourir ou d’accomplir toute autre action ? Car au nombre des actes de la vie est aussi celui par lequel nous mourons[1] ; là, comme ailleurs, il suffit de bien employer le moment présent.

3

Regarde au fond des choses ; ne te laisse tromper ni sur la qualité propre[2] d’aucune d’elles ni sur sa valeur.

4

Tous les objets[3] changeront vite : ils s’évanouiront [en fumée][4], si la matière est une[5] ; sinon, se disperseront.

5

La raison qui gouverne[6] le monde sait ce qu’elle est, ce qu’elle fait et sur quelle matière elle agit.

  1. [Couat : « ou de vivre. L’acte par lequel nous mourons est aussi un des actes de la vie. »]
  2. [Couat : « la vraie qualité. » — La première catégorie que distingue la logique stoïcienne sous la chose indéterminée, c’est l’objet donné (τὸ ύποκείμενον, dont nous trouvons le nom au début de la pensée suivante) ; la seconde est la détermination ou qualité de l’objet (ποιότης ou ποιόν), laquelle peut être individuelle (ἰδίως ποιόν) ou spécifique (κοινῶς ποιόν). Cette « qualité » ne doit pas être considérée comme une abstraction ; c’est véritablement le principe efficient et formel de l’objet ; c’est encore une matière, mais subtile et active, mêlée à la matière inerte qu’elle organise et définit. (Cf. Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 97 sqq.)]
  3. [Couat : « les choses sensibles. » Cf. la note précédente ]
  4. [L’explication du verbe ἐκθυμιαθήσεται se trouve à la pensée X, 31 : καπνὸν καὶ τὸ μηδέν. Noter qu’il s’agit ici non seulement de l’âme, mais de la matière ; non seulement de l’homme, mais des choses sans vie. Il faut donc plutôt considérer le verbe ἐκθυμιαθήσεται comme une métaphore capable d’exprimer tout changement élémentaire et total (ἀλλοίωσις, supra IV, 3, note finale) que comme la formule d’une théorie particulière — σϐέσις ou μετάστασις — de la survivance des âmes (supra IV, 21, 1re  et dernière notes). Limitée à la destinée humaine, cette pensée deviendra l’article VII, 32.]
  5. [Couat : « s’ils sont d’une substance uniforme. » Cf. les derniers mots de la pensée VI, 38. — L’unité de la matière est l’hypothèse stoïcienne ; la dispersion est un corollaire de la doctrine atomiste.]
  6. [Cette « raison qui gouverne le monde » (les deux derniers mots ne sont pas exprimés en grec) s’appelle ailleurs (IX, 22) ἡγεμονικόν : c’est le Dieu de la pensée VI, 7 ; il en était question tout à l’heure à la première pensée de ce livre VI. C’est précisément le rapprochement de ces deux textes qui permet de comprendre celui-ci, et, à côté de διοικῶν, de sous-entendre τὰ ὄλα. Voir quelques lignes plus bas (VI, 8) la définition de la « raison qui gouverne l’âme humaine ».]