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LIVRE III, § IV.

tu portes en toi. Ainsi donc, tu dois éviter, dans l’enchaînement successif de tes pensées, tout ce qui est désordonné, tout ce qui est sans but, à plus forte raison encore tout ce qui est inutile et immoral. L’habitude qu’il faut prendre, c’est de ne penser jamais[1] qu’à des choses telles que si l’on te demandait tout à coup : « À quoi penses-tu ? », tu pusses immédiatement répondre en toute franchise : « Voici à quoi je pense. » Il faut qu’on voie à l’instant même, sans l’ombre d’un doute, que tous tes sentiments sont droits et bienveillants, comme il convient à un être destiné à vivre en société, qui ne songe point aux plaisirs et aux illusions de la jouissance, à quelque rivalité, à quelque vengeance, à quelque soupçon ; en un mot, qui ne songe à aucune de ces pensées dont on rougirait de faire l’aveu, s’il fallait convenir qu’on les a dans le cœur. Quand l’homme a pratiqué cette règle, sans rien négliger désormais pour compter entre tout ce qu’il

    La raison, l’intelligence.

  1. C’est de ne penser jamais… Plus haut, liv. I, § 3, Marc-Aurèle loue, parmi les vertus de sa mère, « l’habitude de s’abstenir, non pas seulement de faire le mal, mais même d’en concevoir jamais la pensée. » Le moyen de surveillance perpétuelle sur soi-même qu’il indique ici est très-pratique ; on est alors sur ses gardes comme une sentinelle vigilante, toujours prête à répondre à l’appel qui lui est fait.