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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

nous en garantir d’une façon absolue[1]. Or comment ce qui ne rend pas l’homme plus mauvais, pourrait-il rendre la vie de l’homme plus mauvaise ? Ce n’est pas parce que la raison universelle ignorait ce désordre apparent, ou parce que tout en le connaissant elle serait impuissante à le prévenir ou à le corriger, qu’elle l’a laissé subsister. Non, il n’est pas à supposer que ce soit par impuissance ou par inhabileté qu’elle ait commis cette grave erreur de répartir indistinctement aux bons et aux méchants, parmi les hommes, les biens et les maux. Le vrai, c’est que, si la vie et la mort, la gloire et l’obscurité, la peine et le plaisir, la richesse et la pauvreté sont distribuées indifféremment aux bons et aux méchants parmi nous, c’est que toutes ces choses-là ne sont ni belles ni laides[2] ; et par conséquent, elles ne sont non plus ni un bien ni un mal.

    Dieux justes dans l’autre vie.

  1. Nous en garantir d’une façon absolue. Par le libre arbitre, que Dieu nous a accordé, et par la pratique du bien qu’il nous a permise.
  2. Toutes ces choses-là ne sont ni belles ni laides. Forte maxime, empruntée au Platonisme, très-vraie, mais qui n’est à l’usage que des âmes les plus vigoureuses et les plus désintéressées. La distinction des vrais et des faux biens suffit à régler, comme il convient, toute la conduite de la vie. Mais combien d’hommes sont-ils capables de la faire ? Un empereur romain, pour arriver à la reconnaître aussi franchement, avait dû, sans doute, résister à bien des tentations, que les conditions privées rendent plus surmontables.